Une approche de la personne en situation de handicap mental à la lumière du regard psychodramatique : phénoménologie de la rencontre[1] expérimentée[2] sur le terrain

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Conférence que j’ai présentée à la journée d’étude de l’ABP (Association Belge de Psychodrame) du samedi 7 décembre 2024


[1] Voir le concept de la rencontre : https://www.psychotherapie-psychodrame.be/2020/08/22/le-concept-de-la-rencontre/cf. livre « prendre soin… » p.69.Livre Handicap mental… p.42.

[2] Voir le concept « expérientiel » : Les savoirs expérientiels renvoient à un ensemble de savoir-faire, savoir-dire ou savoir-être dérivés des expériences vécues, mais ne sont pas réductibles à ces expériences. Les savoirs expérientiels sont produits dans la durée dans la mesure où ils « demandent du temps pour être réfléchis et thématisés.

Introduction

Aborder la question du psychodrame avec les personnes en situation de handicap mental c’est vous parler de son évolution. Ma pratique psychodramatique actuelle est le résultat d’une évolution. En effet j’ai commencé à exercer le psychodrame en 1985 en institution en tant que consultant externe (j’avais 30 ans), il y a 39 ans et ce jusqu’en 2015 (pendant une trentaine d’années donc). Actuellement je suis élevé à la dignité de la retraite, je consacre une partie de mon temps à la recherche et à la pratique clinique en privé sachant que je suis grand-père de 2 petits enfants !

Ma pratique a évolué et s’est affinée en fonction de ma réalité basée sur l’expérience du passé et sur ma réalité, ma pratique actuelle. Ma pratique actuelle se situe entre l’offre et la demande. Ma question est devenue la suivante : qu’est-ce que, actuellement, je peux offrir en fonction de la demande ? J’y reviendrai.

Mon parcours

Ma pratique psychodramatique a débuté, en fait, avec les personnes en situation de handicap en institution en 1985 jusqu’en 2015 soit pendant une trentaine d’années. Ensuite j’ai ouvert mon cabinet de consultations où j’ai animé des séances de psychodrame en groupe jusque 2020 et ouvert également mes consultations aux personnes tout venant en demande d’une psychothérapie (individuelle) en groupe.. Ensuite, après la pandémie Covid 19, j’ai arrêté d’animer des groupes et j’ai animé plutôt du psychodrame individuel.  J’ai également ouvert mes consultations aux personnes en situation de handicap. Les consultations sont individuelles et enrichies par le travail en réseau (relations avec familles, familles d’accueil, institutions, centres de jour, centres résidentiels) inter disciplinaire.

Fort d’une expérience d’une vingtaine d’années j’ai écrit un livre « Handicap mental et technique du psychodrame, édité en 2008 chez L’Harmattan dont voici le résumé en 4ème de couverture (lire). De cette pratique nous en avons parlé en janvier (11/01/2024) ave Agathe Crespel, Jean Maertens (formateur intervenant au CFIP) et David Moindron (psychodramatiste français) que je résumerais très synthétiquement par la phrase prononcée par une personne en situation de handicap mental décrivant le psychodrame : « le psychodrame c’est comme un tiramisu (vient me chercher, tire-moi de là…) ».

Ensuite, fort de mon expérience ultérieure, c’est-à-dire après une quarantaine d’années dans le domaine psycho-médico-social et celui de la santé mentale, j’ai écrit mon 2ème livre dont le titre est : « Prendre soin de soi et de l’autre en soi », paru en 2020 chez L’Harmattan également.

Lire le 4ème de couverture de mon livre « handicap mental et technique du psychodrame »

Dans ce deuxième livre, je parle surtout de la psychothérapie où le psychodrame a toute sa place mais pas uniquement. C’est là que j’insiste, je mets l’accent sur la nécessité d’une approche triadique transversale, transdisciplinaire, interdisciplinaire dont je vais vous en dire quelques mots.

Je pratique essentiellement ce que j’appelle une psychothérapie triadique transversale.

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Tout d’abord qu’est-ce que j’entends par « psychothérapie triadique » :

La psychothérapie triadique

J’utilise alternativement en fonction du matériau apporté en séance la parole (cf. Livre « prendre soin… p.46-47 ?) comme outil analytique, la représentation psychodramatique et l’analyse systémique. Chacune de ces pratiques sont complémentaires et peuvent, à certains moments cliniques, pallier aux inconvénients de l’une ou l’autre de ces trois approches. Je vais détailler cela par la suite. Tout d’abord quelques mots à propos du terme « psychothérapie »

La psychothérapie

C’est avec Freud (1856-1939) que le terme psychothérapie apparaît. Sans doute influencé par ce qu’il retient de l’hypnose et du célèbre cas de son confrère Breuer (Anna O.), Freud opère ici un renversement radical : ce n’est plus le médecin (ou le prêtre, le chaman, …) qui détient le savoir, mais le patient lui-même. La parole du patient recèle un savoir, mais ce savoir, le patient le méconnaît ; ce savoir, il ne le sait pas ; c’est un savoir insu : l’inconscient. « Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d’eux » nous disait (René Char). Voire livre p.48.

Le psychothérapeute fait un acte de lecture. Il doit fabriquer une lettre absente. L’inconscient est en quête de lien pour pouvoir s’exprimer. Comme l’enseigne Saussure « C’est dans la parole que se trouve le germe de tous les changements »[i] Il s’agit d’une parole hiéroglyphique qu’il convient de déchiffrer. Le but de la cure s’énonce ainsi, pour Lacan : « Il faut que la parole soit entendue par quelqu’un là où elle ne pouvait même être lue par personne : message dont le chiffre est perdu ou le destinataire mort, un texte où se puisse lire à la fois ce que la parole dit et ce qu’elle ne dit pas » (Actes du Congrès de Rome, 1956, p. 211). Libérer la parole est bien l’objectif de la psychothérapie comme de la cure analytique. Le but est que le patient se réconcilie avec lui-même en mettant à jour les conflits internes et se retrouve à partir de ce qu’il a, de ce qu’il est. Il ne s’agit pas de modifier sa personnalité mais de l’enrichir de ce qu’il porte déjà en lui. La psychothérapie est très clairement inscrite du côté du soin. Il ne s’agit, en ce qui me concerne, ni de thérapie brève, ni de longue thérapie, ni de « clients », mais de patients avec qui il s’agit de prendre du temps et d’en donner. Ce temps-là est un instant psychique pour un individu psychique. « C’est l’individuation psychique qui fait des humains des êtres pour eux-mêmes, des êtres d’action et des êtres pour les autres, des êtres en société. Autant de registres qui ne vont nullement de soi, qui ne sont nullement donnés par la nature, qui relèvent de processus de constitution problématiques puisque payés dans tous les cas de lourdes séquelles qui nous hantent d’une manière ou d’une autre. »[1] Le care est un terme qui désigne l’idée du souci des autres ou du « prendre soin », et s’étend à toutes les sphères de notre vie : personnelle (« care domestique »), professionnelle (dans le cadre hospitalier notamment), sociale et politique. Il concerne aussi bien le souci de soi que celui d’autrui ou du monde, dès lors que nous admettons que nous sommes tous vulnérables, car dépendants de nos semblables pour survivre.

La psychothérapie est un lieu de symbolisation, de représentation et de remémoration. On s’y soigne en se remémorant. En se remémorant on rejoue. En rejouant on symbolise. On se « ré-origine ». On peut se soigner en symbolisant le non-approprié de l’histoire subjective vécue. Le tableau des années oubliées peut se ré-organiser dans une perspective devenue alors constructive. La représentation, quant à elle, est une re-présentation c’est-à-dire une présentation nouvelle.  Elle a une fonction de libération et de re-création. Elle constitue une reprise du vécu sur le plan symbolique (symbolisation). Elle permet à l’enfant d’accepter le traumatisme de la séparation sans en être détruit, sans non plus se réfugier dans l’imaginaire pur. Le jeu est là, précisément, pour maintenir en œuvre la fonction de représentation qui lui permet en l’occurrence d’interpréter un fait nouveau au lieu de le subir. La fonction de représentation sert de clivage entre l’imaginaire et le réel. Elle sauve l’homme du délire en lui ouvrant le champ symbolique. Par la représentation, le mot commence par fonctionner comme signe c’est-à-dire non plus comme simple partie de l’acte mais comme évocation de celui-ci. « Parler, c’est désigner l’objet absent, passer de la distance à l’absence comblée par la représentation…. Les mots, les signes représentent la présence dans l’absence. Le langage « est » une présence-absence, présence évoquée, absence remplie. »[2] Penser, pour René Roussillon, est simultanément une conjonction et une disjonction, le lien et la déliaison.

Dans le psychodrame, il s’agit de passer du « ça m’arrive » à « ça m’est arrivé ». On ne peut pas changer le passé mais on peut reconstruire quelque chose de positif, de satisfaisant. La symbolisation de la souffrance devient un acte réparateur, créateur voire réalisateur. Le patient, transformé en créateur devient co-auteur de son acte. Le jeu offre la possibilité de ne pas être déterminé maladivement par un aspect du réel.  Il tire son efficacité comme opérateur de l’ouverture à l’existence. Jouer permet de renouer avec la dignité, la liberté de pensée, la liberté d’esprit qui permet d’agir sous la contrainte de l’existence réelle. Le jeu psychodramatique accède à l’essence de l’existence via l’engagement corporel qui favorise la sensation d’exister [3]Tout jeu psychodramatique est un méta jeu en rapport aux « jeux » qui se déroulent dans la réalité. En psychodrame avec les phm p. ex. nous faisons circuler le métro de ce qui n’est pas dit en dessous du boulevard de ce qui est difficile à dire. Le psychodrame permet un processus de transe-formation (cf. paragraphe suivant). Le psychodrame pourrait, pourra s’appeler « théâtre de la guérison » !

Quelques mots maintenant à propos de la parole comme « outil » (outil analytique).

La parole comme soin psychique :

La parole est précieuse quand les soins psychiques passent avant les soins physiques qui sont la plupart du temps prioritaires ! Je citerais ici une partie de texte De Didiez Anzieu dans son célèbre livre : Le Moi-peau.

« Voici une première observation que je remercie Emmanuelle Moutin d`avoir mise à ma disposition :

Observation d’Armand :

« Je me rendis un jour dans la chambre d`un malade avec lequel j`avais une relation suivie et de bonne qualité. Cet homme en pleine maturité était un détenu qui avait fait une tentative d’autolyse par le feu. Moyennement brûlé, sa vie n’était plus en danger, mais il traversait alors une phase douloureuse. Lorsque je le vis, il ne put que se plaindre de ses vives souffrances physiques qui ne lui laissaient guère de répit. Il appela l’infirmière et la supplia de lui donner une dose supplémentaire de calmants, l`effet des précédents ayant cessé. Ce malade ne se plaignant pas sans raisons, elle accepta, mais occupée par une urgence, elle ne revint qu’au bout d`une demi-heure. Pendant ce temps j’étais restée auprès de lui et l’entretien spontané et chaleureux que nous eûmes porta sur sa vie passée et sur des problèmes personnels qui lui tenaient à cœur. Lorsqu`enfin l’infirmière revint avec les antalgiques, il les refusa en disant avec un grand sourire : “ Ce n’est plus la peine, je n’ai plus mal.  » Il en était lui-même étonné. L’entretien continua ; après quoi il s’endormit paisiblement et sans aide médicamenteuse. ››

La présence à ses côtés d’une jeune femme qui n’en voulait pas à son corps mais qui s`occupait uniquement de ses besoins psychiques , le dialogue vivant et d’assez longue durée qui s’ïnstaura entre elle et lui, le rétablissement de la capacité de communiquer  avec un autre ( et par là avec soi-même) permirent à ce malade de reconstituer un moi-peau suffisant pour que sa peau, malgré l’atteinte physique,  puisse exercer ses fonctions de pare-exitation à l’égard des agressions extérieures et de conteneur des affects douloureux. Le Moi-peau avait perdu son étayage biologique sur la peau. A la place il avait, par la conversation, par la parole intérieure et les symbolisations consécutives, trouvé un autre étayage, de type socio-culturel (le Moi-peau fonctionne en effet par étayage multiple).

La peau de mots trouve son origine dans un bain de paroles du tout-petit à qui son entourage parle ou pour qui il chantonne. » [ii]

Parler c’est aussi désirer. Le désir est mis en circulation, se donne à entendre. L’interlocuteur va lui donner un sens. « Demander » est une demande adressée à l’autre duquel il attend une réponse, un savoir sur son propre désir. On ne se rend pas compte de ce que l’on dit. La parole désire. Parler vrai, vraiment… en vérité… La parole transmet et révèle. C’est l’effet de sens de la parole. Une parole qui énonce se trouve modifiée par son énoncé. L’effet de parole est un effet de désir, une réalisation de désir. Le désir s’accomplit dans une parole qui s’adresse à l’autre. Toute parole est une action. La lecture de l’autre fait entendre sa voix, voie. Notre voix est ce que nous avons de plus intime. La parole engage parce que son appel amène une réponse du sujet. « Vraiment écouter c’est parler, c’est en dire quelque chose du sujet avec espérance » (F.Dolto). Après « la psychothérapie » et « la parole comme soin », développons « le psychodrame comme psychothérapie » :

Le psychodrame comme psychothérapie en quelques mots

Selon A.A. Schutzenberger le psychodrame est la plus nouvelle des thérapies anciennes et la plus ancienne des thérapies nouvelles. D’après Jean-Marc Dupeu, dans son livre « L’intérêt du psychodrame analytique, Ferenczi (1873-1933) serait le précurseur du psychodrame. Ferenczi insiste pour que le patient mette en scène l’idée énoncée en l’explicitant dans un souvenir, dans un exemple, dans une situation concrète. C’est manifestement pour dépasser l’obstacle d’une résistance qu’il utilise le procédé. Ferenczi décrit des techniques de mise en scène, qu’il a utilisées dans certaines cures lorsque le mouvement d’associations libres semblait s’arrêter. Jouer une scène oblige à une dépense d’énergie telle, que cela mobilise, à son insu, des contenus psychiques refoulés. Moreno (1889-1974), quant à lui, serait plutôt le créateur de la thérapie systémique[4]. En effet, le psychodrame est, entre autres, une thérapie relationnelle. Les participants viennent au groupe avec leur atome social, le réseau des interrelations dont ils sont le centre, dont ils souffrent et qu’ils veulent reconstruire. Ce réseau de rencontre, Moreno l’appelle le co-inconscient familial qui est, en quelque sorte l’ancêtre de l’inconscient collectif, familial et relationnel. Freud nous a apporté l’inconscient, Jung, l’inconscient collectif, et Moreno le co-inconscient familial et groupal que nous découvrons depuis un certain nombre d’années comme étant aussi un co-inconscient transgénérationnel. Ce dernier est rattaché au concept morénien d’atome social, sorte de liens d’une personne avec d’autres, vivantes ou disparues, et donc à la base de toute thérapie systémique et transgénérationnelle…et de tout psychodrame. Nous nous rencontrons quand nous pouvons voir le monde et nous-mêmes avec les yeux de l’autre… Nos participants en situation de handicap mental, p. ex., pour me référer à mon expérience personnelle, viennent dans le groupe avec leur famille interne et interagissent énormément à ce niveau. Le groupe doit être une indication posée et non un résidu de l’institution. La personne y est mise en interaction avec d’autres.  L’espace proposé n’entre pas en rivalité avec les espaces familiaux conflictuels. Il s’agit non pas d’être hors de la parole mais de la prendre comme support sans risque de déclencher un acte. Quelque chose va s’inventer parce que des personnes se mettent ensemble. Le groupe est co-thérapeutique en soi. Cet espace psychique commun permet le passage de l’angoisse à la verbalisation, de contenir les fantasmes destructeurs. Grâce à une stratégie de détour, le groupe favorise une bonne distance et « n’attaque » pas directement les symptômes (ex : les difficultés scolaires, comportementales etc.). Il respecte les défenses, contourne les résistances et élit une proposition thérapeutique. Le dispositif groupal établit un cadre défini rigoureusement de l’intérieur duquel grâce à une bonne distance, le sujet pourra effectuer un parcours symbolique thérapeutique. Le groupe est aussi révélateur. Il permet l’émergence des demandes. Le travail sur le fonctionnement groupal a des effets sur le fonctionnement du groupe. Celui-ci permet une enveloppe, un espace potentiel qui donne du possible. Il constitue une matrice, un claustrum où s’y protéger et trouver une certaine chaleur. Ce contenant permet l’analyse du contenu. Le groupe suscite des échos tantôt chaleureux, d’encouragement (ex. « Tu n’es pas toute seule, il y a les éducateurs et nous aussi ! » tantôt confrontant (ex. « Tu ne parles pas, tu cries ! » Ou « Tu veux parler, vas-y alors ! » chez certains participants. Les réactions en groupe permettent à certains participants de s’affirmer davantage, de prendre une parole sur soi en coupant le flux de paroles de certains et disant : « Silence, je parle » ! Ou « J’ai quelque chose à dire ». A cet instant-là la parole se charge d’un sens, elle n’est plus décharge cathartique. Il s’agit-là d’une parole désirante qui énonce quelque chose, se donne à entendre et suscite l’écoute de l’autre. Enfin, « le groupe peut devenir le lieu privilégié où à la fois se manifestent et peuvent être traitées les composantes psychotiques de la personnalité ».

« Le psychodrame est rencontre (p69-71) dans la mesure où l’individu pendant la représentation scénique de ses relations et des interactions interpersonnelles ne parle pas de celles-ci mais est confronté directement dans l’action avec les personnes de référence. Dans un de ses premiers écris expressionnistes, Invitation à la rencontre, paru en 1915, Moreno utilise pour cette confrontation l’image du fleuve. Pensant à la réussite de l’homme, il écrit : « Alors la rencontre ne m’arrête pas, tel un fleuve qui n’est gêné dans son cours par aucun méandre et par aucun banc de sable. « Pensant à son échec possible, il dit : « Si j’avance lentement ou si je ne réussis pas à avancer sur mon chemin, alors il y a dans ma rencontre avec toi une fissure, une cassure, un malaise, une contrariété, une maladresse, une imperfection. C’est pourquoi je dois me renseigner sur notre situation, l’examiner, la reconnaitre pour en sortir. » en corollaire, il formule dans ce même texte trois questions fondamentales de la thérapie psychodramatique, à savoir : « Quelle est la situation ? Qu’est-ce qui nous a conduit à cette situation ? Qu’est-ce qui peut nous permettre de sortir de cette situation ? »[5] D’un point de vue technique la rencontre morénienne va être facilitée, notamment, par la méthode du renversement de rôle.

Phénoménologie[6] de la rencontre

La phénoménologie et son analyse du « pathique »[7][11]propose une méthode de description du monde par un « retour aux choses mêmes » (Husserl). Comme l’avance Henri Maldiney, il s’agit dans cette méthode de mettre « hors-jeu toute prise de position préalable, en premier lieu toute distinction normative, ou même simplement théorique, entre normal et pathologique », dans la suspension donc des jugements de valeur et des préjugés. Cet auteur précise ainsi la critique d’une nosologie appliquée mécaniquement, qu’il qualifie d’ »horizon de possibles précontraints ». Il ne s’agit pas d’une pensée de système, mais d’une démarche qui peut s’appliquer à de nombreux objets. Le pathique est une communication immédiatement présente, intuitive-sensible, encore préconceptuelle, que nous avons avec le monde. Henry Maldiney ne manque jamais de rappeler la formule de Straus : « Le sentir est au percevoir ce que le cri est au mot ». Le champ du « pathique » est celui qui renvoie le malade à ce qu’il peut, à ce qu’il veut, à ce qu’il doit ou ose devenir ! Nous retrouvons également, ici, ce thème très important de la rencontre, qui est au cœur du travail de l’humain : soin, pédagogie, formation… « L’horizon anthropologique est le garant du respect de l’humain dans les sciences du même nom, comme le rappelait Maldiney qui posait la question de l’objectivité de ces sciences en dépit du fait que l’homme n’est pas un objet »

l’anthropologie phénoménologique[8] peut aider à repenser la psychothérapie et la clinique des soins psychiques. La phénoménologie et son analyse du « pathique »[9]propose une méthode de description du monde par un « retour aux choses mêmes » (Husserl). Parlons maintenant de la rencontre avec la personne en situation de handicap.

La rencontre avec la personne en situation de handicap mental

« Favoriser la rencontre, c’est tendre la main. Je ne cherche pas à vouloir communiquer à tout prix. Je cherche à rencontrer une personne, non pas un personnage, et à donner l’envie aux patients de parler s’ils le désirent. L’essentiel est d’alimenter un souffle de vie en instaurant une possibilité de jeu qui faisait cruellement défaut dans le champ de la souffrance. Moreno disait d’ailleurs «: Le seul moyen, ce n’est pas la parole mais la rencontre ».

A ce niveau, le jeu psychodramatique n’est pas toujours nécessaire. Le patient y est mis en périphérie et non au centre de l’adulte, des experts qui, souvent, ont envie de trop vite comprendre c’est-à-dire de « prendre avec » ! J’accepte le non-sens de l’autre comme le non-sens entre nous. L’expérience informe peut devenir la trame d’un jeu. Je réponds à l’autre si c’est nécessaire dans la mesure de sa demande. De cette manière, j’essaye de ne pas reproduire un système relationnel souvent employé, c’est-à-dire lorsque le thérapeute se trouve en position dominante et le patient en position dominée. Il faut savoir également que les personnes handicapées mentales plus que d’autres personnes sont « surprotégées » parce qu’elles sont perçues comme manquant toujours de quelque chose ! Placée en position d’assistée, la personne handicapée mentale fait souvent ce que l’adulte juge bon pour elle. (cf. Arnaud S.) Souvent, son entourage lui attribue plus d’incapacité qu’il n’en a au départ. Là où j’interpelle le sujet, par contre, c’est dans l’aire de jeu, lieu de surprise. Je synthétiserai le concept de la rencontre par un résumé de deux textes, l’un emprunté à Moreno (je rappelle qu’il est le fondateur du psychodrame) et l’autre à P. Montangerand – ex Président de l’Institut International de Psychanalyse de Genève, texte qui s’intitule : « Ballade pour un jeune thérapeute » :

« Une véritable écoute, dans le silence intérieur débarrassé de la mémoire du passé et des cogitations sur l’avenir nous fait vivre l’instant fulgurant de la rencontre.

Vivre l’instant de la rencontre n’est pas le résultat d’une volonté mais le fruit mûri d’une ouverture immédiate sur l’infini de l’Autre. C’est au présent que l’homme peut vivre sa mesure d’éternité. Le vrai silence n’est ni indifférence, ni fascination, il est présence hors de tout savoir et de toute compréhension, car vouloir comprendre l’autre, c’est chercher à l’enfermer dans un déjà connu. La compréhension, écrit Jung, est un pouvoir terrifiant, parfois même un assassinat de l’âme…La véritable compréhension semble être une compréhension qui ne comprend pas mais qui vit et oeuvre. Le vrai silence désencombre notre psychisme des déductions théoriques et des projections qui en découlent. Le danger qui guette l’analyste et l’analysant, c’est le bavardage, l’accumulation de mots morts jetés dans la fosse commune d’une pseudo-rencontre. L’analyste doit avoir trouvé son silence intérieur pour pouvoir en présence de son patient, se taire quand il le faudra. Je sais bien que la compassion d’autrui soulage un moment, je ne la méprise point. Mais elle ne désaltère pas, elle s’écoule dans l’âme comme à travers un crible. Et quand notre souffrance a passé de pitié en pitié, ainsi que de branche en branche, il me semble que nous ne pouvons plus la respecter ni l’aimer. Ecouter en silence, c’est aimer. Aimer, c’est oser s’ouvrir sur l’infini de l’Autre, c’est accepter, au-delà de la peur, l’aventure la plus difficile et la plus extraordinaire. Aimer, c’est peut-être renoncer à nier l’inconscient et assumer sa peur afin qu’elle ne nous paralyse plus dans le cercle répétitif des automatismes de notre intellect. Le symptôme que présente le patient est un mot d’amour qui ne peut pas se dire… »[17]

Et voici ce que Moreno nous dit de la rencontre dans « In Einladung zu einer begegnung (Vienne 1914) » :

« En 1914, j’ai introduit le concept de la « Rencontre » …

Selon lui, ce concept a constitué le début des fondements théoriques de la psychothérapie de groupe (thérapie par la « Rencontre »). « Mes activités pratiques avec des enfants dans les jardins de Vienne, les discussions de groupe avec des adultes (1913-1914) et mon expérience au camp de Mittendorf (1915-1917) ont grandement contribué à l’explication des problèmes essentiels. Dans mes « dialogues » sur la rencontre, dans mon « théâtre d’improvisation », ces préoccupations ont trouvé un point d’aboutissement provisoire ».[18]

Ce concept est une prescription technique constituée par l’empathie, l’écoute, l’engagement, la créativité du thérapeute ainsi que la confrontation avec l’autre. »[19]

J’ai parlé de la parole comme outil analytique, de la représentation psychodramatique et maintenant le troisième aspect de la psychothérapie triadique : l’analyse, l’approche systémique.

L’analyse systémique :

La thérapie systémique a été développée sous l’impulsion de l’anthropologue Gregory Bateson au Mental Research Institute plus connu sous le nom de l’école de Palo Alto.

La systémique est une discipline autonome qui regroupe la théorie des systèmes ouverts, la théorie cybernétique, la théorie de la communication, la théorie du système général, la théorie de l’organisation. L’adjectif systémique désigne tout ce qui se rapporte à l’analyse des systèmes.

L’approche systémique est une orientation théorico-pratique qui se concentre essentiellement sur le processus d’interaction et de communication entre les membres d’un système, plutôt que sur les dynamiques intrapsychiques ou la reconstruction psychogénétique des problèmes individuels. Le patient désigné n’est pas un malade en soi mais il se montre ainsi en rapport avec sa situation interpersonnelle. Le patient exprime la dysfonction d’un système. Il est le bouc émissaire d’un dysfonctionnement, révélateur d’un dysfonctionnement du système caractérisé par la rigidité des modèles d’échanges.

L’approche systémique se distingue des autres approches par sa façon de comprendre les relations humaines : l’individu fait partie et est influencé par différents systèmes : familial, professionnel, social. Les personnes dépendent les unes des autres et leurs échanges se font selon des règles implicites de communication utilisées le plus souvent de manière inconsciente. Les difficultés d’une personne signalent parfois une souffrance qui peut parfois être celle d’un système.

La démarche systémique procède d’un regard particulier sur la réalité sociale par une conception synthétique et non pas analytique d’une situation donnée. Le postulat de départ de la systémie réside dans le fait qu’une grande partie des difficultés ou troubles d’une personne s’origine dans une pathologie de l’ensemble des relations et des processus de communication. La systémie est donc le fruit de rencontres interdisciplinaires appliquées aussi bien aux systèmes mécaniques qu’aux relations humaines.

Pour faire une petite référence à notre actualité : pour répondre aux défis systémiques actuels, nous devons avant tout décloisonner les disciplines et promouvoir une approche pluri disciplinaire des problèmes contemporains. La responsabilité sociétale nécessite de l’engagement. Dans les apprentissages scolaires, par exemple, au niveau des études supérieures, des nouvelles approches telles que le « learning by doing » permettent d’impliquer les étudiants dans des projets engageants, qui donnent du sens aux savoirs tout en le questionnant.

Dans mon livre « prendre soin de soi et de l’autre en soi » je fais référence dans la partie : « L’espace-temps transitionnel et expérientiel à l’expérience créative en citant ceci (p.147.) :

« Favoriser la relance du processus de pensée, d’interroger nos interrogations, de questionner nos pratiques, nos croyances, de faire des hypothèses plutôt que faire cuire les carottes (sensibilité relationnelle et réalisme perceptif) et d’être en position d’étonnement (Dolto). Créer, c’est faire naître du néant. L’expérience créative est une sorte de crédit ouvert à la personnalité non intégrée ».

L’apprentissage expérientiel est utile pour former des personnes engagées, capables de penser de manière holistique et d’agir de manière responsable. C’est aussi un moteur inspirant pour enrayer ce que d’aucuns appellent l’éco-anxiété qui frappent souvent les jeunes générations. L’analyse systémique et la réflexion critique sont ainsi des compétences essentielles pour appréhender les enjeux complexes de la transition vers un développement durable. Nous pouvons ainsi contribuer à transformer ensemble notre société. Venons-en maintenant à la pratique du psychodrame en institution avec des personnes en situation de handicap mental.

Cf. mon livre « prendre soin… » Le dispositif « soignant », « transitionnel » p. 151,

Et La transitionnalité p.152.

Le psychodrame pour les personnes en situation de handicap mental 

En institution, différents groupes de psychodrame sont constitués de personnes adultes vivant avec un handicap mental sévère ou modéré. La personne handicapée mentale est un être de langage comme tous les autres mais son expressivité limitée est difficile à comprendre. L’outil que constitue le psychodrame se révèle efficace et indiqué là où les thérapies classiques échouent. La gestion ainsi que l’accompagnement de ces personnes semblent poser actuellement de plus en plus de difficultés au personnel d’encadrement (adaptation, intégration, conflit, crise, débordement, traumatisme, autonomie, sexualité, deuil, maladie, vieillissement…). Comment aider les personnes handicapées mentales à sortir de leur souffrance, comment aider le personnel éducatif et soignant à trouver des pistes qui s’ouvrent vers un nouvel horizon et redonner une perspective créative ? Telles sont les questions auxquelles le psychodrame en tant que psychothérapie, par son dispositif, son support à l’expression personnelle permet de répondre. Imaginez un seul instant qu’une personne handicapée mentale, objet de tant de soins et de sollicitude depuis de nombreuses années puisse, grâce au psychodrame, pendant un moment, devenir acteur et auteur de sa vie ! Entre sa parole non-dite et son geste parlant, celle-ci peut être amenée, de façon synergique par le dispositif psychodramatique, à se représenter c’est-à-dire à se présenter autrement. Il lui est permis de jouer ce qui l’a traumatisée dans l’enfance et de peu à peu dénouer ce qui l’entrave psychiquement pour reprendre son évolution affective. Cette méthode thérapeutique, par la représentation et la symbolisation, semble faciliter l’écoute du langage corporel de ces personnes dont l’expression verbale est très limitée. La séance psychodramatique transforme un espace de parole et d’écoute en un lieu de découvertes. En séance ces personnes ne paraissent plus « débiles » ! Cette approche originale permet une rencontre nouvelle, une possibilité de croissance et d’accompagnement tant pour le « déficient mental » que pour l’équipe éducative. Face à certaines situations, il suffit parfois de peu, d’une étincelle pour retrouver de l’espoir !

Pour davantage de précisions sur ce sujet le lecteur est invité à consulter le livre : « Handicap mental et Technique du Psychodrame » écrit par Jacques Michelet et édité chez l’Harmattan.

Pratique : p.36-39 de mon livre « handicap mental et technique du psychodrame »

Nous essayons alors ensemble de redécouvrir une créativité perdue.     La créativité, même chez les personnes handicapées mentales, n’est jamais complètement détruite, me semble-t-il. Mon postulat est qu’il existe un potentiel de croissance en tout homme.

Pour établir un parallèle avec l’exemple de la recherche médicale sur la régénération nerveuse, plusieurs modèles expérimentaux ont déjà montré que les nerfs périphériques peuvent très bien repousser quand ils sont sectionnés ! Il existe donc dans le système nerveux un « potentiel de régénération ».

 En neuroplasticité (terme qui désigne, dans le domaine neurologique, les facultés de réorganisation que l’on a mis en évidence dans le système nerveux) les recherches actuelles révèlent que le cerveau s’adapte de lui-même. En effet le cerveau humain a la capacité de s’adapter aux nouvelles situations, de faire repousser ses cellules en cas de lésion, de suppléer la défaillance de certaines de ses fonctions.

 Winnicott écrit ceci : « Dans les cas graves, tout ce qui est réel, important, original et créatif est caché et ne donne nul signe de vie ». Il dit aussi : « La pulsion créatrice est présente en chacun d’entre nous ».[10] Reste donc à saisir le comportement « éloquent », « parlant » de ceux qui ne savent pas parler nous dit aussi F. Dolto[11].

   Nous tâchons, en tant qu’animateurs, d’être attentif à ce que font les personnes handicapées mentales. Nous proposons ce que nous entendons, ce que nous croyons comprendre avec eux et essayons de mettre des noms à l’insolite. C’est en quelque sorte un travail de nomination. Certaines personnes sont arriérées mentales parce qu’elles se sont « escargotées » nous dit encore F. Dolto. Je la cite : « S’escargoter cela veut dire retourner dans sa coquille, défendre sa peau, se préserver d’écouter, perdre pied avec la société, vivre de la matérialité de ses besoins, essayer de ne rien entendre parce que c’est trop dérangeant. Cela peut amener jusqu’à l’arriération. L’arriération est vue par autrui alors que ça peut être un enfant très intelligent complètement escargoté qui aurait une possibilité d’être en contact avec quelqu’un qui a perdu l’habitude de faire confiance à qui est vivant à côté de lui. Il ne demande qu’à manger et dormir. C’est dans les institutions où il y a des enfants dits « arriérés » et dits « psychotiques » que se trouvent des êtres qui étaient potentiellement les plus humains au départ de leur vie. C’est terrible… ».[12]

   Quant à moi, je tâche avec l’aide d’un co-animateur ou co-animatrice d’aider les patients à prendre une parole sur eux, à sortir de leur isolement en favorisant une circulation d’énergie positive. La situation de groupe permet d’ailleurs des effets thérapeutiques engendrés par les nombreuses interactions, identifications et échos chaleureux et clarifiants de chacun. Le groupe a une fonction essentielle d’expression et de contenance. Le groupe est plus tolérable que le face à face chez la personne handicapée mentale parce qu’il est vécu pour elle-même comme moins dangereux. En effet, s’il soutient l’expression de soi, il permet aussi un processus qui borde, aménage et limite donc les angoisses archaïques envahissantes. Comme cadre de référence, le groupe ainsi que le dispositif psychodramatique offrent des béquilles symboliques. Je voudrais prendre ici l’exemple de Marc :

   Marc est très tendu dans le groupe. L’image qu’il donne lors d’un jeu est celle d’un crapaud (c’est comme cela qu’il se décrit du moins) prêt à bondir sur sa proie. Sa position est accroupie. Il parle très bas et ravale sa salive. Les mots passent difficilement : « J’ai tendance à m’étrangler avec ma salive » nous dit-il. Marc se ferme aux autres. Souvent son « cœur est endormi ». « Quand on garde tout pour soi, on a beaucoup de salive » dit-il. Le psychodrame avec lui représente un peu le rôle d’une amphétamine c’est-à-dire un rôle de réveil, une action tonique sur le psychisme. Il nous dira en fin de séance : « Mon cœur recommence à battre » !

   Par son caractère de représentation scénique, support à l’expression personnelle, l’exemple de Marta me paraît très évocateur. Marta, arriérée mentale modérée, est âgée de 25 ans.

   Lors d’une séance, Marta est questionnée par l’animateur. Elle qui, d’habitude, ne dit presque rien, déverse toute une tirade. Elle nous parle de sa famille. Le point de départ de sa mise en train est l’attention qu’elle porte à ce que le co-animateur prenant des notes d’observation est en train d’écrire. Elle parle de sa famille et s’arrête brusquement de parler pour vérifier si le co-animateur prend bien note de ce qu’elle dit. C’est un moment crucial pour elle. Une personne relève bien ses paroles par écrit, la prend en compte !

   Marta mettra en scène sa famille en donnant une place à chacun. Elle placera des personnes sur des chaises. Il s’agit de participants du groupe représentant les figures familiales. Une chaise, cependant, est restée vide. C’est la chaise de son père. Une place vide pour son père. Nous apprenons que son père est décédé. Marta se placera entre sa mère et son père en regardant vers cette chaise libre dont elle regrettera le vide. Elle dira en fin de jeu : « Papa, au cimetière et moi je vis ! ». Exprimer tout cela verbalement aurait été trop difficile. Sa place en famille a été mise en scène très concrètement et assez rapidement. L’émotion de Marta était très vive. Il y eut  un long silence dans le groupe. Ce silence fut provoqué par l’impression laissée par Marta. Cette représentation « cathartique »  en quelque sorte, a permis à Marta de s’exprimer malgré ses difficultés verbales, de mettre une forme à son vécu, d’extérioriser ce qu’elle vivait mal en elle afin de mieux l’intégrer et d’être donc plus disponible pour le présent et le futur. Le jeu de Marta a permis à d’autres participants du groupe d’exprimer, à leur tour, des difficultés vécues en famille, des traumatismes subis. L’avantage indéniable est de pouvoir en parler dans un cadre précis et de mettre des mots à la place des maux.

   Le soulagement et l’amélioration psychologique de la personne viendra d’ailleurs souvent par l’expression de ce qui jusque là est resté imprimé. Après une certaine décharge émotionnelle, la parole peut se charger à nouveau car elle s’adresse à quelqu’un. En quelque sorte, nous faisons circuler le métro de ce qui n’est pas dit en dessous du boulevard, de ce qui est difficile à penser et à exprimer !

   Le cadre, quant à lui, a pour fonction l’inscription de l’autre qui va permettre une symbolisation. La marque délimitée par le processus psychothérapeutique produit du sens, triangule, relie les morceaux éparpillés du patient et permet à la pensée de reprendre un relais. C’est le cas notamment de Julia qui crie pour parler car elle a peur de ne pas être entendue ! Certains participants nous interpellent en séance afin de noter par écrit ce qu’ils disent (« Note-ça » ; « Tu vas marquer çà ? ») pour être sûr d’être entendu.

Un aperçu de quelques psychodrames : p.92-111(livre handicap…)

Béatrice ou « le psychodrame sur les parties du corps » : p.93.

Le psychodrame est devenu, pour elle, un lieu où elle peut exprimer  sa souffrance et essayer d’en sortir, notamment, par la symbolisation des anxiétés opérant un déplacement de l’angoisse somatique vers une expression névrotique externe, hors du corps. En effet, une fois nommée activement et non uniquement subie, l’angoisse ne collant plus à la peau, peut être mieux maîtrisée.

Etienne ou « le psychodrame de reconstitution du moi » : p.95.

Lors du psychodrame, Etienne s’identifie à une pendule. Il nous dit qu’elle se trouve à l’envers. Il s’agit d’une pendule dont les aiguilles sont bloquées. Tout est figé. Etienne associe avec le mot « pendule », le mot « corps ». Etienne évoluera en faisant des métaphores sur son propre corps qu’il cherche à connaître. Nous allons de signifiant en signifiant. Etienne n’a pas de place propre. Il est à la place d’un grand-père ou de Charlot avec sa canne…

Progressivement, il arrive à identifier convenablement les parties de son corps.

L’image qu’il a de son corps est celle d’un bonhomme sans tête, un corps, un costume, des chiffres, bref un contenant sans contenu…

Maurice ou la représentation d’une problématique encoprétique  : p.98-102.

   Maurice, âgé de 35 ans environ, diagnostiqué arriéré mental modéré (Q.I. = 45) nous est présenté comme un garçon fort violent dans l’institution. Il vient au psychodrame à la demande de l’institution (accès importants de violence et encoprésie) ainsi qu’à la sienne car il ne supporte plus sa vie de famille.

Un des objectifs du psychodrame est de privilégier la représentation c’est-à-dire de verbaliser l’action, de mettre des mots à la place des actes où l’action reste observable par le moi. Nous proposons une aire d’expérience neutre où Maurice peut s’exprimer sans craindre des représailles. Il osera nous dire par exemple : « J’ai fais une connerie »…

Nahomée et le psychodrame corporel du présent au passé ou le rapport possible entre l’obésité, la fugue et le cordon ombilical : p.102-104.

Le fil conducteur de l’animateur sera d’aider Nahomée à verbaliser sa recherche et lui permettre de se reconstruire plutôt que de s’auto détruire de manière fantasmatique ou réelle. Un jeu ultérieur révélera le désir de Nahomée d’être une fille de « trois ans » (sic), mince et mignonne qui est invitée par un professeur dans un lieu public. Nahomée nous montre, en fait, qu’elle cherche à être reconnue comme sujet désirant. Elle ira jusqu’à exprimer son désir d’être bercée. Elle qui veut « faire du social pour enlever les problèmes des autres », elle qui veut « s’occuper de bébés » comme elle le dit aux éducateurs !

Son temps de récupération dans l’après-jeu est énorme. Au bout du compte, ce jeu, essentiellement cathartique, lui a permis une réappropriation de soi. Notre hypothèse était que la toux de Nahomée était un rejet. Mais de quoi ?

 Nahomée est une fille dont la naissance a été difficile. Elle aurait été étouffée par le cordon ombilical. Sa mère l’aurait donc, en quelque sorte, « empêchée de sortir ». Ceci expliquerait peut-être son désir de fugue. Sortir de la maison ne serait-ce pas éviter d’être étouffée par le cordon ombilical ?

Quant à son obésité, signifierait-elle un refus d’engendrer ?

Sindy ou le psychodrame de la « présence-absence » : p.104-107.

Son attitude dans le groupe est souvent comparable à celle d’un bébé. Sa voix est celle d’un très jeune enfant. Son langage oral est très régressif. Les passages à l’acte chez elle sont très nombreux : s’assied par terre, quitte la séance, accroche les autres à la jambe, au cou, refuse de travailler en psychodrame…

   Sindy s’exprime beaucoup par gestes. Dès lors, la tendance au passage à l’acte devient rapide. Ce qu’elle exprime verbalement tourne autour de l’oralité, de la fusion dans le style : « Faire tartines, pscht… dans l’eau, ouin, les oeufs… eh… tiennent, les pâtes… chaud… tchou  tchou, je pense à toi, pourquoi foyer ?… Babette… cocola… en a marre… ». Le thème de la piscine est important pour elle comme celui de la douche et du shampoing. Les positions corporelles que Sindy adopte varient d’une position presque foetale sur sa chaise (mi-couchée, mi-assise) à une position où elle est assise sur la chaise une écharpe enroulée autour du cou et se protégeant de son manteau. Ses jeux psychodramatiques semblent représenter une recherche de son identité, de sa place en famille.

Sindy semble se comporter comme une personne écorchée dont les blessures ne sont jamais cicatrisées (elle nous dit d’ailleurs très souvent : « Il faut panser la blessure »). Le sparadrap, qu’elle réclame très souvent, ferait présence de l’absence parentale (recherche désespérée et désespérante d’une « bonne mère » et d’un « père présent ») qu’elle ne pourrait combler !

   La rencontre avec Sindy est souvent surprenante comme peut l’être d’ailleurs la rencontre avec un psychotique quand elle nous dit « papa pense à moi », qu’il faut traduire par « papa panse à moi ! » parce qu’elle relie cela avec un pansement. A défaut de possibilité de symbolisation de l’absence avec Sindy, le psychodrame constitue un soutien humain.

Jacinthe ou le psychodrame la « présence-absence » : p.107-

Jacinthe ou « le psychodrame gratuit » : p.108-111.

Caroline ou « le psychodrame du territoire » : p.111.

Avec elle, nous mettons en scène des jeux où elle est amenée à se confronter aux autres. Par exemple, sur la scène, un antagoniste essayera de s’approprier son sac à main et Caroline aura pour consigne de le conserver, de garder et de défendre ce qui lui appartient. Nous précisons qu’il s’agit bien là d’un jeu. Elle est aidée, de son côté, par un des animateurs. C’est ainsi qu’elle en est arrivée à dire, lors d’une séance : « J’ai pu crier. Avant, je criais à l’intérieur ! ».

Le texte suivant présente une approche approfondie du rôle du corps dans le psychodrame, particulièrement dans le cadre du travail thérapeutique avec des personnes handicapées mentales. Voici un résumé des points clés abordés dans cette introduction :

Quelques mots sur « Le psychodrame corporant » : p.79-87

   Le psychodrame avec les personnes handicapées mentales est qualifié de « corporant » parce qu’il met l’accent sur la corporéité, c’est-à-dire la dynamique corporelle qui relie le corps et l’esprit. Ce terme fait référence à la manière dont le corps est mobilisé dans un espace intermédiaire entre rendre la parole corporelle et faire parler le corps lui-même, avec une place importante pour les objets transitionnels et le langage métaphorique.

Le rôle de l’objet transitionnel :

   Inspiré des travaux de D.W. Winnicott, l’objet transitionnel aide à réduire l’angoisse et à traverser les expériences traumatisantes. L’exemple de Josianne (p.79-81) illustre comment un sac à main, en tant qu’objet transitionnel, lui permet d’exprimer des traumatismes passés et de progresser vers une verbalisation plus grande de ses souffrances. L’objet transitionnel devient un support essentiel dans ce processus de guérison

La métaphore et le langage corporel :

  Je souligne toute l’importance des métaphores et des lapsus dans le psychodrame. Le corps, par des gestes et des attitudes, peut exprimer des sentiments et des expériences que les mots seuls ne parviennent pas à révéler. Les thérapeutes interprètent et travaillent ces signes non verbaux pour aider à la structuration du moi.

Différentes techniques du psychodrame :

   Plusieurs techniques sont employées pour aider à la prise de conscience et à la résolution de conflits intérieurs. Par exemple :

   – Le psychodrame du territoire vise à affirmer la place du sujet dans l’espace scénique et sa capacité à s’opposer.

   – Le psychodrame de la présence-absence travaille sur l’angoisse liée à la séparation, en jouant sur la présence symbolique de l’absence.

   – La technique du Sphinx aide à émerger et renforcer le moi à travers un travail corporel.

   – Le psychodrame des parties du corps permet au sujet d’exprimer symboliquement des tensions ou des maux à travers des parties de son corps.

La technique du miroir :

   Cette méthode est utilisée pour aider les patients à se voir sous une nouvelle lumière. En imitant le patient ou en le confrontant à une image miroir de lui-même, le thérapeute permet au sujet de prendre du recul et de mieux comprendre son propre comportement. Cela peut avoir un effet thérapeutique profond, comme on le voit dans l’exemple de Sophie, qui travaille sur son image corporelle et son rapport à la féminité.

Image du corps et schéma corporel :

   Le texte s’appuie sur les théories de Dolto et Lacan pour distinguer l’image du corps (dimension psychique et subjective) du schéma corporel (réalité organique et physique). L’image du corps est essentielle à la structuration du sujet et à la construction de l’identité. Le psychodrame aide à unifier une image du corps souvent morcelée, en particulier chez les personnes ayant vécu des traumatismes ou des handicaps physiques.

Conclusion :

Le psychodrame corporant met en avant l’importance du corps comme outil de structuration et d’expression de soi. Le corps devient un véhicule pour revivre et transformer des expériences émotionnelles complexes, et le rôle de l’objet transitionnel ainsi que l’utilisation des métaphores sont des éléments clés dans ce processus de guérison et de reconstruction.

Le jeu, concept-clé du psychodrame, et ses implications :

Le jeu est un concept central du psychodrame, mettant en lumière sa capacité à lier la créativité et l’environnement. Il engage le corps non pas uniquement dans une action mais dans une représentation, neutralisant la violence et stabilisant le rapport au corps. Le jeu relie le corps réel au symbolique, créant une stabilisation de la pensée et un lien social. Il sert de mise en forme du réel, notamment pour surmonter des pertes telles que le deuil.

Entre rêve et parole, le jeu permet la réalisation des désirs et crée un processus de familiarisation entre le monde interne et externe. Il est une rencontre libre, non une obligation, où le dialogue prime sur l’autorité. Les jeux fondamentaux sont mystérieux, stimulant la curiosité et l’apprentissage par l’art plutôt que par la science.

Le jeu est aussi une activité libre, où l’échec est permis et où il rompt les habitudes pour réorganiser le chaos. Le jeu dramatique permet un décalage et une nouvelle perception du soi et de l’autre, favorisant une libération de l’expression. Bien que gratuit, le jeu a des répercussions sur la liberté future et procure une richesse émotionnelle.

En conclusion, le jeu dans le psychodrame peut répondre à des souffrances inconscientes et révéler ce que l’individu ignore savoir, jouant un rôle thérapeutique clé pour explorer l’inconscient.

Les Effets de re-mobilisation psychique, de « re-narcissisation énergétique » :

L’approche en groupe relance un processus d’identification et sert de point d’ancrage qui permet une différenciation et un certain décollage. La représentation permet de sortir de la sidération psychique, du néant, du trou, des clivages. Processus de liaison et perspectives de reliaison, la figurabilité remobilise les fonctions élaboratives. Il s’agira de sortir du signifiant « débile » comme « victime » qui ferme, condamne à l’avance. D’où l’importance de donner les moyens d’abandonner cette identification au « débile ». Le patient doit muer tel un serpent, changer au lieu de s’accrocher, se responsabiliser.

Le jeu, par la dramatisation, va permettre grâce au processus d’introjection de réduire la charge émotionnelle en transformant la pulsion en symbolisation. Le jeu est acte de parole, acte d’énonciation qui transforme celui qui était objet d’un évènement en sujet d’un acte symbolique. Ce renversement est capital !

Cette interliaison énergétique représente une mobilisation, une circulation dynamique, déclive et ouvre sur le monde exté-rieur. « Le psychodrame permet ce jeu énergétique de la stimulation réceptive à plusieurs (O. Avron). Ce jeu énergétique me conduit à proprement parler de la circulation d’énergie.

Indication du psychodrame avec les PHM

Le psychodrame est indiqué pour les personnes qui ont un défaut d’introjection et aurait une fonction antipsychotique. Exercé dans le champ du handicap mental, le psychodrame constitue une psychothérapie profonde en groupe ainsi qu’une thérapie relationnelle c-à-d où l’accent est surtout mis sur la relation, la singularité et le transfert. Il nous fait apparaître la phm sous un autre visage que celui du « débile ». Il nous révèle une autre figure que celle de l’escargot ou du bernard –l’ermite, qui, pour survivre doit quitter sa coquille. Le psychodrame avec les phm constitue une méthode qui fait la synthèse de ce trop-plein de réalité qu’est le monde pré-verbal et supra-verbal dont est issu le monde verbal.

Il permet donc

  • Une reprise en main de soi,
  • L’inscription d’un sujet dans le monde symbolique,
  • De sortir, également, de l’enferment institutionnel,
  • Et enfin un travail de liaison. Grâce au passage de la charge émotionnelle à la symbolisation, renversement capital d’ailleurs, l’interliaison énergétique ouvre sur le monde extérieur.

[1] Marcel Gauchet, Pour une théorie psychanalytique de l’individuation in Se construire comme sujet, Sous la direction de Karl-Leo Schwering, Eres 2012, p.18.

[2] H. Lefebvre, « La présence et l’absence », p. 88.

[3] Corinne Gal, Le psychodrame une expérience aussi forte que la vie, Ed. Odile Jacob,2016, p.70

[4] L’analyse systémique, en quelques mots, est une théorie générale des systèmes. Il s’agit d’une orientation théorico-pratique centrée sur les processus d’interaction et la communication entre les membres d’un système (différent de la dynamique intrapsychique).

[5] Dr Grete-Anna Leutz, Mettre sa vie en scène, Ed. Desclée de Brouwer, 1985, Paris, p.29-30.

[6]La phénoménologie est une approche centrée sur l’analyse directe de l’expérience vécue par un sujet pour comprendre le sens de cette expérience du point de vue de ce dernier. Elle implique une « mise en suspens » du jugement, en privilégiant les faits et les phénomènes tels qu’ils sont vécus, sans interprétation extérieure. Cette méthode qualitative s’inscrit dans le paradigme constructiviste, qui soutient que la réalité est perçue comme multiple et construite par l’interaction entre l’esprit humain et son environnement. Le chercheur phénoménologique reconnaît ainsi qu’il n’existe pas une seule vérité, mais des perspectives multiples, et s’efforce de restituer fidèlement l’expérience du sujet.[6]

L’attitude phénomènologique se caractérise par :

  • L’observation des faits, des phénomènes
  • La mise en suspens du jugement, la mise entre parenthèse du monde
  • Se fonde sur des faits vécus..

[7] Je précise ici que le pathique est une communication immédiatement présente, intuitive-sensible, encore préconceptuelle, que nous avons avec le monde. Le champ du « pathique » est celui qui renvoie le malade à ce qu’il peut, à ce qu’il veut, à ce qu’il doit ou ose devenir ! Ce concept est développé plus loin, dans la deuxième partie de ce livre, avec l’intitulé « Diagnostic et psychiatrie »p.107-114.(livre « prendre soin …).

[8] L’anthropologie phénoménologique a été créée par L. Binswanger, psychiatre suisse. Selon lui, il s’agit de « mettre l’homme en situation » dans la science psychiatrique (cf. Der Mensch in der Psychiatrie), elle a donc également pour objectif de dégager les différentes mises en forme de l’acte diagnostique et thérapeutique du soin psychique dans les diverses cultures, comme à l’intérieur d’une même culture.

[9]Ce concept est né dans le champ médical pour éclairer la relation du médecin à son patient ; il a ensuite servi à illustrer la relation de l’homme à son milieu, dans la perspective d’une épistémologie de la psychologie. Ce glissement d’une clinique médicale (existentielle) à un registre qui fonde même cette clinique (existential) explique son émergence dans le champ de l’esthétique où le pathique est alors la dimension originaire qui fonde l’esthétique, envisagée comme aesthesis : un sentir. « Le pathique est un terme qui a été élaboré par Viktor von Weizsäcker, par Erwin Strauss et de nos jours par Henri Maldiney et Jacques Schotte. Or il faut déjà “être là” pour être dans le pathique. Cela correspond à quelque chose de l’ordre des sentiments les plus primordiaux. Ce qui donne la qualité même de la rencontre, c’est le pathique, lequel se définit par des verbes pathiques, qui impliquent toujours un mouvement. En allemand, on parle du “pentagramme pathique” alors qu’en français il n’y a que trois verbes pathiques : vouloir, pouvoir, devoir. Par exemple, les deux acceptions en allemand de pouvoir sont können et dürfenKönnenexprime la capacité de tandis que dürfen, Jacques Schotte le traduit par oser se permettre deDürfen est un verbe essentiel quand on est en rapport avec quelqu’un : est-ce que l’on ose se permettre de ? »

Réf. : https://www.ouvrirlecinema.org/pages/reperes/constel/pathique.html

[10] D. W. Winnicott  « Jeu et réalité -l’espace potentiel- », p. 96.

[11] Emission de radio-TV. Projection A2-Unité de programme-Marc de Florès « Le langage et la folie », 1977.

[12] F.Dolto, Ibidem 18.

[i] F. de Saussure, Cours de linguistique générale, Payot, 1995, p. 138.

[ii] Didier Anzieu,Le Moi-peau,Ed. Dunod, Paris 1985.p.206-207.

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