Psychodrame et introjection

Par

Le jeu, par la dramatisation, permet, grâce au processus d’introjection notamment, de réduire la charge émotionnelle en transformant la pulsion en symbolisation. La symbolisation implique la représentation d’un objet absent. Le jeu est acte de parole, acte d’énonciation qui transforme celui qui était objet d’un évènement en sujet d’un acte symbolique. Ce renversement est capital ! L’élaboration de la pensée permettra de décoller du besoin, du faire, de l’agir et s’interroger sur ce qui déborde. Réveiller le non traduit concourt à l’introjection[1]. L’introjection est vue comme un processus constitutif du monde intérieur, ressourcement identitaire. Elle est action et procès dont le sujet grammatical et réel est le « sujet », l’individu lui-même. Elle est la face traductive du processus contribuant à la constitution du moi préconscient-conscient. « Pour Ferenczi, l’introjection est le mouvement de la constitution du Moi »[2]. Renverser les rôles en psychodrame c’est passer du mode passif à un mode actif (cf. jeu de la bobine où il s’agit de jeter et de reprendre, où il y a figuration de la pensée par la représentation). En psychodrame il arrive souvent d’observer chez l’un ou l’autre participant des transformations spectaculaires du corps lors des changements de rôle : le corps se redresse, devient plus tonique, les gestes gagnent en amplitude, les expressions du visage réapparaissent, les modulations de voix se diversifient, etc. Cette transformation en action peut rester insu du sujet qui reprend son rôle, comme si de rien n’était, mais les observations des autres participants à qui la transformation a « sauté aux yeux », lui font retour de manière saisissante.

» your text

 

« Le psychodrame est indiqué pour les personnes qui ont un défaut d’introjection (défaut d’affirmation) ou en débordement (dont le moi est débordé, incapable de contenance). Ceci est le cas, par excellence, de l’enfant qui est incapable de dire ; « je suis responsable », qui n’a pas la responsabilité de ce qu’il est (cf. Tanguy !). En termes Szondien il y a absence de la fonction K+ (je suis) et présence de P- (projection qui évite l’introjection). Je rappelle ici les significations des différents symboles :

K+ : vecteur du Moi qui représente l’introjection soit le repli sur soi, l’introversion, l’autisme, le « je suis ».

K- : représente l’adaptation, le renoncement, le « je suis pas ».

P+ : représente l’inflation, le « je suis tout ».

P- : représente la projection, être un et semblable à l’autre.

L’introjection représente donc :

  • Une protection
  • Une institution du Moi
  • Un espace psychique intime
  • Permet d’être quelqu’un,
  • Permet la frontière entre l’extérieur et l’intérieur. »[3]

« Un sujet souffrant d’un défaut ou d’une inefficacité du processus d’introjection est comme excessivement « ouvert » sur la réalité externe. Ce défaut de fermeture de l’appareil psychique, qu’il ne faut pas confondre avec une inconsistance du moi (comme le montrerait l’exemple du paranoïaque), est cause de l’incapacité où se trouve le sujet de constituer et de conserver à l’intérieur de lui des objets internes plus classiques, de constituer un monde fantasmatique. Ce monde fantasmatique, tant conscient que préconscient, fonctionne chez le névrosé comme un pare-excitation vis-à-vis des agressions en provenance du monde extérieur. Toute une série de manifestations cliniques apparaît dans cette perspective comme traduisant cette extrême dépendance du sujet vis-à-vis des objets externes et des évènements de la réalité. [4]C’est ainsi que l’on pourra évoquer :

  • L’extrême influençabilité du psychopathe aux rencontres, elle-même responsable de son instabilité ;
  • Les difficultés inhérentes au travail de deuil chez le mélancolique, faisant courir un risque de décompensation, à chaque perte d’objet ;
  • La sensibilité particulière des patients somatisant aux à-coups de leur vie affective et/ou professionnelle ;
  • La décompensation délirante survenant, chez le psychotique, à la suite d’un incident de la vie relationnelle venant réveiller une problématique infantile élective insuffisamment symbolisée ;
  • La dépendance du toxicomane à son produit ;
  • La soumission du sujet opératoire aux conformismes sociaux, et son intolérance aux situations qui les remettent en question ;
  • La souffrance de tonalité persécutive de l’insomniaque que la défaillance onirique empêche de se soustraire aux moindres stimuli sensoriels de la réalité externe, vécus comme traumatiques. »[5]

En résumé, la notion d’« introjection » est synonyme de celle de « symbolisation ». L’introjection comme processus constitutif de l’inconscient a un caractère fondateur dans la constitution du monde intérieur. Pour Ferenczi, l’introjection est le mouvement de la constitution du Moi. « Le caractère inhérent est le renversement du mode passif au mode actif : introjecter c’est proprement renverser les places de l’objet et du sujet. Procédé dont la technique psychodramatique fait un usage fréquent tout à fait concret, puisque, chaque fois qu’il le juge utile et intéressant, le meneur de jeu propose à son patient de jouer le rôle de l’autre, c’est-à-dire de reprendre en première personne ce qu’il a d’abord expérimenté dans le jeu comme une situation de passivité : « Ptolémisme » ici parfaitement légitime, puisqu’il encourage en toute connaissance de cause (exactement comme dans le jeu de la bobine) le mouvement du sujet lui-même dans son effort interminable pour s’approprier son destin. »[6]

Le Moi introjecté est un Moi constitué. Mettre du jeu dans le groupe permet de sortir de la pensée clivée et de la sidération. Les participants vont être aidé en étant stimulé à décoller du besoin de faire, de l’agir et en s’interrogeant sur ce qui les déborde. À ce niveau plusieurs techniques sont utilisées dont celle, notamment, du renversement de rôle qui va permettre de décoller du vécu émotionnel. Cette technique sera surtout utilisée lorsqu’il y a trop de projection, quand l’autre n’est plus vu comme un partenaire, quand il n’y a pas suffisamment de conscience. Le jeu de rôle va redonner du poids à la parole. Le psychodrame permet une reprise en main de soi ainsi qu’une réinsertion dans le socius. Il va permettre de passer du singulier au collectif, grâce à la Projection (P-). Sur le plan technique, deux questions essentielles sont posées : « qui veut jouer » (qui veut prendre sa place ?) et « comment tu termines ce jeu ? » (Comment prendre sa part personnelle ?). En stimulant la participation rythmique à la matrice communicationnelle d’ensemble, qu’ensemble les participants sont en train de constituer, il permet à chacun une renarcissisation énergétique[7]. »[8]

[1] Cette notion est détaillée dans la quatrième partie de mon livre « Prendre soin de soi et de l’autre en soi » au niveau du titre « s’avoir grâce au groupe » p.198 avec la référence à Jean-Marc Dupeu, L’intérêt du psychodrame analytique, PUF, 2005, Paris. P.259).

[2] Ilse Barande, Sandor Ferenczi, Petite Bibliothèque Payot, 1972, Paris, P. 80.

[3]Jacques Michelet/Conférence/Journée de « Psychodrame et Transversalité » du 11/10/2008 à Namur.

[4] Ilse Barande Sandor Ferenczi, Ed. Payot |& Rivages, 1972, Paris, P.80.

[5]Jean-Marc Dupeu, L’intérêt du psychodrame analytique, PUF, 2005, Paris. P.141-142.

[6]Jean-Marc Dupeu, L’intérêt du psychodrame analytique, PUF, 2005, Paris. P.259.

[7] Ophélia Avron distingue, en dehors de la pulsion sexuelle, la pulsion d’interliaison psychique. Dans cette dernière il s’agit d’une pulsion qui nous conduit vers l’autre, où se fait la recherche de l’autre, du plaisir et en même temps de rendre l’autre heureux. On compose pour garder l’autre. Dans cette atmosphère énergétique il y a une mise en activité directe des psychismes entre eux. Il y a mobilisation des uns par les autres, de l’empathie à double sens et cela se fait aussi à un autre niveau que la parole. Une trame est mise en travail du fait des effets de la présence non comblante (effets d’absence et de présence). Dans la présence de l’autre, il en reste toujours des inquiétudes. Cette mise en activité directe des psychismes entre eux, par des mouvements de liaison et de déliaison, ouvre la voie à la transmission des contenus représentatifs internes vers l’autre avec un impact de retour. « Mettre en scène les difficultés d’un patient, dégager la scénarisation fantasmatique, participer au réseau rythmique, c’est travailler en même temps sur les contenus libidinaux les plus secrets et sur la trame de liaison collective dont ils ne peuvent jamais entièrement se dissocier, car ils ont été conjoints dès le départ et fortifiés tout au long du développement des processus de pensée »(p.194). Dans sa pratique psychodramatique groupale, Ophélia Avron tente de faire circuler la pensée, de sortir des clivages. Mettre du jeu dans le groupe permet de sortir de la pensée clivée et de la sidération.

[8] Ophélia Avron, La pensée scénique, Ed. Eres. Paris, 1996.p.9 et 194.

» your text

Cet article vous a plu? Alors partagez-le !

ultricies dolor ipsum quis, porta. ut nunc