
Par Jacque
Le mot rencontre se définit comme un hasard, une occasion qui fait trouver fortuitement une personne, une chose. C’est l’action de trouver quelque chose ou quelqu’un par hasard sur son chemin. La rencontre est un phénomène rare, inattendu, imprévisible. Le dictionnaire Le Littré définit la rencontre comme l’action d’aller vers quelqu’un qui vient. Ses antonymes sont la séparation, l’abstention, l’opposition.
La philosophie de la rencontre chez Martin Buber
« Toute vie véritable est rencontre »
« Au commencement est la rencontre. La rencontre a précédé notre propre existence, une rencontre succède immédiatement à notre venue au monde. Ainsi s’égrène la vie de chacun, rencontres après rencontres…Aussi, il ne convient plus de laisser l’égo d’un seul homme penser le monde pour l’ensemble. »
» your text Martin Buber nait à Vienne en 1878 et meurt à Jérusalem en 1965. Il consacre ses écrits et son engagement à œuvrer pour un meilleur rapprochement entre les hommes. Dans l’aventure de cette rencontre entre le « Je » et le « Tu » qui est, pour Martin Buber, à l’origine de l’Humanité entière, il ne cesse de poursuivre et de diriger ses recherches vers l’idée de « Paix universelle ». Le dialogue repose sur la réciprocité et la responsabilité, laquelle existe uniquement là où il y a réponse réelle à la voix humaine. Dialoguer avec l’autre, c’est affronter sa réalité et l’assumer dans la vie vécue. Selon Buber, l’homme peut vivre sans dialogue mais qui n’a jamais rencontré un Tu n’est pas véritablement un être humain. Cependant, celui qui pénètre dans l’univers du dialogue prend un risque considérable puisque la relation Je-Tu exige une ouverture totale du Je, qui s’expose ainsi à un refus et à un rejet total. La réalité subjective Je-Tu s’enracine dans le dialogue, tandis que le rapport instrumental Je-cela s’ancre dans le monologue, qui transforme le monde et l’être humain en objet. Dans l’ordre du monologue, l’autre est réifié — il est perçu et utilisé — alors que dans l’ordre du dialogue, il est rencontré, reconnu et nommé comme être singulier. Pour qualifier le monologue, Buber parle d’Erfahrung (une expérience « superficielle » des attributs extérieurs de l’autre) ou d’Erlebnis (une expérience intérieure insignifiante), qu’il oppose à Beziehung – la relation authentique qui intervient entre deux êtres humains. Ces conceptions s’opposent bien sûr à l’individualisme. La tuchê est le hasard pur, ce qui ne peut être deviné à l’avance, ni prédit, encore moins calculé. Tyché est la déesse grecque de la Chance, de la Fortune et du Hasard. Au Moyen Âge, on l’a représentée avec une corne d’abondance, la barre emblématique d’un bateau et la Roue de Fortune. Tyché décide du destin des mortels, comme jouant avec une balle, rebondissant, de bas en haut, symbolisant l’insécurité de leurs décisions. La psychanalyse a découvert qu’il y avait un rendez-vous auquel nous sommes toujours appelés, un rendez-vous avec un réel qui se dérobe, une rencontre qui est toujours manquée, d’où sa reproduction. Ce qui se répète est en effet toujours quelque chose qui se produit comme au hasard. La tuché est conçue comme la rencontre du réel. Du réel, conçu comme impossible à rencontrer. La tuché, c’est la rencontre du réel, en tant qu’elle est rencontre manquée. « Lorsque survient chez un sujet un événement auquel le sujet ne peut faire face –il ne peut ni l’intégrer dans le cours de ses représentations ni l’abstraire du champ de sa conscience en le refoulant –, cet événement prend la valeur du traumatisme : « mauvaise rencontre », tuchê, dit Lacan. C’est le réel qui fait trauma. Le trauma, pour que le sujet puisse être libéré de son joug, exige d’être « réduit », autrement dit, il doit être symbolisé, subjectivé. Son retour incessant, sous forme d’images, de rêves, de mise en acte, a précisément cette tâche : l’intégration à l’organisation symbolique du sujet. Une des fonctions de la répétition est donc celle de réduire le trauma (un peu comme on dit « réduire une fracture »). Mais l’automatisme – automaton dit Lacan – ne fait que répéter le ratage de la symbolisation et finit par se perpétuer à l’infini. »[1] Le réel est donc exclu du symbolique quand ce qui fait trauma ne peut pas être dit. Quelque chose de l’ordre de l’impossible est poursuivi dans l’automatisme de répétition. Le sujet souffre et se tourmente. Il est en proie à sa compulsion de répétition, à sa pulsion de mort. Il est objet de la jouissance de l’Autre. « Lacan fait valoir que, dans la répétition, derrière l’automaton – l’automatisme de la chaîne signifiante (le symbolique) – ce qui se répète est toujours la tuché : la « mauvaise rencontre », la rencontre avec le réel comme manquée[2]. La tuché détermine la chaîne signifiante et se répète (automaton) à l’insu du sujet. Le sujet est complètement passif dans le processus, piloté par le réel et aliéné dans le symbolique. »[3] Pour D.W. Winnicott, qui prolonge les propositions de S. Ferenczi, le trauma est en relation avec la dépendance et la temporalité. « Le traumatisme est un « échec » en rapport avec la dépendance (D.W. Winnicott, 1965), car il « rompt l’idéalisation d’un objet au moyen de la haine d’un individu, en réaction au fait que cet objet n’a pas réussi à atteindre sa fonction » ; il provient de « l’effondrement dans l’aire de confiance à l’égard de ‘l’environnement généralement prévisible’ ».[4] « Le traumatisme originaire est une « déchirure » spéciale : la perte – la séparation d’avec la mère – est déjà advenue, est déjà là depuis toujours (plutôt que de dire que le sujet a perdu sa mère, il faudrait rappeler qu’il ne l’a jamais eue). Le rejet (Ausstossung) de la signification phallique du corps du sujet marque sa séparation inévitable d’avec l’Autre, sa castration originaire. En revanche, dans la maladie psychosomatique, il s’agit d’une perte effective. Pour Lacan, l’expérience inaugurale du sujet prend l’aspect d’une « mauvaise rencontre », ou d’une « rencontre manquée », toujours traumatique, ce qui n’empêche pas que sa répétition ne soit recherchée avec acharnement. Le désir est désir de répétition de cette première jouissance ratée. La répétition réitère le ratage de la première rencontre, mauvaise et manquée[5]. Le désir étant bloqué, le sujet s’affectera d’un phénomène psychosomatique. Lacan explique dans le séminaire sur Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, que le premier signifiant (le S1, le signifiant qui vient de l’Autre symbolique, le signifiant « unaire », celui de la première identification avec le père) représente le sujet pour un autre signifiant (le S2, liée au savoir inconscient). Ce deuxième signifiant a comme effet l’aphanisis[6] (disparition) du sujet : d’où la division du sujet ($). L’aliénation signifiante est indissolublement liée au processus de séparation : « séparer » vient du latin separare, qui veut dire « se parer », « s’habiller », « se défendre », et surtout, « engendrer ». Le sujet peut désirer seulement lorsqu’il se manifeste comme fading, à la suite du processus d’aliénation – le désir gît entre le premier et le deuxième signifiant[7] – et de séparation. La métaphore paternelle[8] crée une discontinuité entre S1 et S2, qui fait qu’il y a émergence de l’objet a : pensons à separare dans le sens d’« engendrer », il s’agit d’engendrer notamment l’objet a. L’objet a est la cause du désir, il représente une perte de jouissance et met en marche le désir : désir aussi dans le sens freudien de « répétition », tentative de récupérer la jouissance ratée. »[9] « Si le patient est névrosé, c’est qu’il a subi un traumatisme, un trauma, un choc dont il ne s’est jamais remis. Ce choc, Lacan le définit fondamentalement comme rencontre avec le réel, et reprend pour cela le mot grec employé par Aristote dans la Physique : τύχη3. Qu’apporte la référence à Aristote ? Dans la Physique, Aristote articule tuchè, la rencontre de deux objets, le choc (pour Lacan le trauma), à automaton, la force d’inertie, le fait que le mouvement se poursuit de lui-même, automatiquement : pour Lacan, la répétition. Le monde physique d’Aristote différencie les mouvements qui se perpétuent sur leur lancée de ceux qui bifurquent, naissent, se transforment à partir du hasard d’une rencontre. Tuchè, c’est donc l’origine, la cause qui déclenche chez le patient le mécanisme de la répétition : une phobie, un cauchemar, une situation qui se répète interminablement pour le patient, toujours comme par hasard, et constitue sa névrose. Le problème, c’est qu’entre l’origine qui expliquerait tout, donc l’élucidation apporterait la guérison, et la névrose elle-même, il y a toujours la clocherie de la causalité… La fonction de la tuché, du réel comme rencontre — la rencontre en tant qu’elle peut être manquée, qu’essentiellement elle est la rencontre manquée — s’est d’abord présentée dans l’histoire de la psychanalyse sous une forme qui, à elle seule, suffit déjà à éveiller notre attention — celle du traumatisme. N’est-il pas remarquable que, à l’origine de l’expérience analytique, le réel se soit présenté sous la forme de ce qu’il y a en lui d’inassimilable — sous la forme du trauma, déterminant toute sa suite, et lui imposant une origine en apparence accidentelle ? […] au sein même des processus primaires, nous voyons conservée l’insistance du trauma à se rappeler à nous. Le trauma y reparaît en effet, et très souvent à figure dévoilée. Comment le rêve, porteur du désir du sujet, peut-il produire ce qui fait surgir à répétition le trauma — sinon sa figure même, du moins l’écran qui nous l’indique encore derrière ? (P. 65-66) »[10] La phénoménologie et son analyse du « pathique »[11]propose une méthode de description du monde par un « retour aux choses mêmes » (Husserl). Comme l’avance Henri Maldiney[12], il s’agit dans cette méthode de mettre « hors-jeu toute prise de position préalable, en premier lieu toute distinction normative, ou même simplement théorique, entre normal et pathologique »[13], dans la suspension donc des jugements de valeur et des préjugés. Cet auteur précise ainsi la critique d’une nosologie appliquée mécaniquement, qu’il qualifie d' »horizon de possibles précontraints »[14]. Il ne s’agit pas d’une pensée de système, mais d’une démarche qui peut s’appliquer à de nombreux objets. Le pathique est une communication immédiatement présente, intuitive-sensible, encore préconceptuelle, que nous avons avec le monde. Henry Maldiney ne manque jamais de rappeler la formule de Straus : « Le sentir est au percevoir ce que le cri est au mot ». Le champ du « pathique » est celui qui renvoie le malade à ce qu’il peut, à ce qu’il veut, à ce qu’il doit ou ose devenir ! Nous retrouvons également, ici, ce thème très important de la rencontre, qui est au cœur du travail de l’humain : soin, pédagogie, formation… « L’horizon anthropologique est le garant du respect de l’humain dans les sciences du même nom, comme le rappelait Maldiney qui posait la question de l’objectivité de ces sciences en dépit du fait que l’homme n’est pas un objet[15] »[16] « Favoriser la rencontre, c’est tendre la main. Je ne cherche pas à vouloir communiquer à tout prix. Je cherche à rencontrer une personne, non pas un personnage, et à donner l’envie aux patients de parler s’ils le désirent. L’essentiel est d’alimenter un souffle de vie en instaurant une possibilité de jeu qui faisait cruellement défaut dans le champ de la souffrance. Moreno disait d’ailleurs «: Le seul moyen, ce n’est pas la parole mais la rencontre ». A ce niveau, le jeu psychodramatique n’est pas toujours nécessaire. Le patient y est mis en périphérie et non au centre de l’adulte, des experts qui, souvent, ont envie de trop vite comprendre c’est-à-dire de « prendre avec » ! J’accepte le non-sens de l’autre comme le non-sens entre nous. L’expérience informe peut devenir la trame d’un jeu. Je réponds à l’autre si c’est nécessaire dans la mesure de sa demande. De cette manière, j’essaye de ne pas reproduire un système relationnel souvent employé, c’est-à-dire lorsque le thérapeute se trouve en position dominante et le patient en position dominée. Il faut savoir également que les personnes handicapées mentales plus que d’autres personnes sont « surprotégées » parce qu’elles sont perçues comme manquant toujours de quelque chose ! Placée en position d’assistée, la personne handicapée mentale fait souvent ce que l’adulte juge bon pour elle. Souvent, son entourage lui attribue plus d’incapacité qu’il n’en a au départ. Là où j’interpelle le sujet, par contre, c’est dans l’aire de jeu, lieu de surprise. Je synthétiserai le concept de la rencontre par un résumé de deux textes, l’un emprunté à Moreno (je rappelle qu’il est le fondateur du psychodrame) et l’autre à P. Montangerand – ex Président de l’Institut International de Psychanalyse de Genève, texte qui s’intitule : « Ballade pour un jeune thérapeute » : « Une véritable écoute, dans le silence intérieur débarrassé de la mémoire du passé et des cogitations sur l’avenir nous fait vivre l’instant fulgurant de la rencontre. Vivre l’instant de la rencontre n’est pas le résultat d’une volonté mais le fruit mûri d’une ouverture immédiate sur l’infini de l’Autre. C’est au présent que l’homme peut vivre sa mesure d’éternité. Le vrai silence n’est ni indifférence, ni fascination, il est présence hors de tout savoir et de toute compréhension, car vouloir comprendre l’autre, c’est chercher à l’enfermer dans un déjà connu. La compréhension, écrit Jung, est un pouvoir terrifiant, parfois même un assassinat de l’âme…La véritable compréhension semble être une compréhension qui ne comprend pas mais qui vit et oeuvre. Le vrai silence désencombre notre psychisme des déductions théoriques et des projections qui en découlent. Le danger qui guette l’analyste et l’analysant, c’est le bavardage, l’accumulation de mots morts jetés dans la fosse commune d’une pseudo-rencontre. L’analyste doit avoir trouvé son silence intérieur pour pouvoir en présence de son patient, se taire quand il le faudra. Je sais bien que la compassion d’autrui soulage un moment, je ne la méprise point. Mais elle ne désaltère pas, elle s’écoule dans l’âme comme à travers un crible. Et quand notre souffrance a passé de pitié en pitié, ainsi que de branche en branche, il me semble que nous ne pouvons plus la respecter ni l’aimer. Ecouter en silence, c’est aimer. Aimer, c’est oser s’ouvrir sur l’infini de l’Autre, c’est accepter, au-delà de la peur, l’aventure la plus difficile et la plus extraordinaire. Aimer, c’est peut-être renoncer à nier l’inconscient et assumer sa peur afin qu’elle ne nous paralyse plus dans le cercle répétitif des automatismes de notre intellect. Le symptôme que présente le patient est un mot d’amour qui ne peut pas se dire… »[17] Et voici ce que Moreno nous dit de la rencontre dans « In Einladung zu einer begegnung (Vienne 1914) » : « En 1914, j’ai introduit le concept de la « Rencontre » … Selon lui, ce concept a constitué le début des fondements théoriques de la psychothérapie de groupe (thérapie par la « Rencontre »). « Mes activités pratiques avec des enfants dans les jardins de Vienne, les discussions de groupe avec des adultes (1913-1914) et mon expérience au camp de Mittendorf (1915-1917) ont grandement contribué à l’explication des problèmes essentiels. Dans mes « dialogues » sur la rencontre, dans mon « théâtre d’improvisation », ces préoccupations ont trouvé un point d’aboutissement provisoire ».[18] Ce concept est une prescription technique constituée par l’empathie, l’écoute, l’engagement, la créativité du thérapeute ainsi que la confrontation avec l’autre. »[19] Je vais en décrire cet aspect plus technique dans la thérapie psychodramatique. « Le psychodrame est rencontre dans la mesure où l’individu pendant la représentation scénique de ses relations et des interactions interpersonnelles ne parle pas de celles-ci mais est confronté directement dans l’action avec les personnes de référence. Dans un de ses premiers écris expressionnistes, Invitation à la rencontre, paru en 1915, Moreno utilise pour cette confrontation l’image du fleuve. Pensant à la réussite de l’homme, il écrit : « Alors la rencontre ne m’arrête pas, tel un fleuve qui n’est gêné dans son cours par aucun méandre et par aucun banc de sable. « Pensant à son échec possible, il dit : « Si j’avance lentement ou si je ne réussis pas à avancer sur mon chemin, alors il y a dans ma rencontre avec toi une fissure, une cassure, un malaise, une contrariété, une maladresse, une imperfection. C’est pourquoi je dois me renseigner sur notre situation, l’examiner, la reconnaitre pour en sortir. » en corollaire, il formule dans ce même texte trois questions fondamentales de la thérapie psychodramatique, à savoir : « Quelle est la situation ? Qu’est-ce qui nous a conduit à cette situation ? Qu’est-ce qui peut nous permettre de sortir de cette situation ? »[20] D’un point de vue technique la rencontre morénienne va être facilitée par la méthode du renversement de rôle. En psychodrame mettre du jeu dans le groupe permet de sortir de la pensée clivée et de la sidération. Les participants vont être aidé en étant stimulé à décoller du besoin de faire, de l’agir et en s’interrogeant sur ce qui les déborde. À ce niveau plusieurs techniques sont utilisées dont celle notamment du renversement de rôle qui va permettre de décoller du vécu émotionnel. Le changement de rôle s’inspire du dialogue socratique : « Une rencontre à deux, oeil à oeil, face à face. Et quand vous serez tout près, je vous retirerai vos yeux et les mettrai à la place des miens, et vous retirerez mes yeux et les mettrez à la place des vôtres ; alors je vous regarderai avec vos yeux et vous me regarderez avec les miens ». Cette technique sera surtout utilisée lorsque qu’il y a trop de projection, quand l’autre n’est plus vu comme un partenaire, quand il n’y a pas suffisamment de conscience. Le renversement de rôle redonne du poids à la parole. D’après Ophélia Avron (psychanalyste et psychodramatiste) le renversement de rôle est indiqué : « Renverser les places de l’objet et du sujet revient à renverser le mode passif en mode actif. Jouer le rôle de l’autre c’est reprendre en première personne ce qu’il a d’abord expérimenté dans le jeu comme une situation de passivité exactement comme dans le jeu de la bobine le mouvement du sujet lui-même dans son effort interminable pour s’approprier son destin. »[21] Réveiller le non traduit concourt à l’introjection. L’introjection est vue comme un processus constitutif du monde intérieur, ressourcement identitaire. Elle est action et procès dont le sujet grammatical et réel est le « sujet », l’individu lui-même. Elle est la face traductive du processus contribuant à la constitution du moi préconscient-conscient. Renverser les rôles c’est passer du mode passif à un mode actif (cf. jeu de la bobine où il s’agit de jeter et de reprendre, où il y a figuration de la pensée par la représentation). Il arrive souvent d’observer chez l’un ou l’autre participant des transformations spectaculaires du corps lors des changements de rôle : le corps se redresse, devient plus tonique, les gestes gagnent en amplitude, les expressions du visage réapparaissent, les modulations de voix se diversifient, etc. Cette transformation en action peut rester insu du sujet qui reprend son rôle, comme si de rien n’était, mais les observations des autres participants à qui la transformation a « sauté aux yeux », lui font retour de manière saisissante. Le surplus de réalité va au-delà de la réalité et offre au sujet une expérience nouvelle et plus étendue de la réalité. Moreno a été influencé par le concept de « plus-value » de Marx. Il a écrit : « La plus-value fait partie des gains du travailleur ou elle lui est volée par des employeurs capitalistes. Mais la réalité excédentaire n’est, en revanche, pas une perte mais un enrichissement ou une réalité par les investissements et l’utilisation extensive de l’imagination. Cette expansion de l’expérience est rendue possible dans le psychodrame par des méthodes non utilisées dans la vie – égos auxiliaires, chaise auxiliaire, double, inversion des rôles, miroir, la boutique magique, soliloque, répétition de la vie et autres. Décrivant la fonction du rôle d’auxiliaire, Moreno met l’accent sur l’utilisation thérapeutique du contact corporel pour donner au sujet la chaleur et l’immédiateté de la vie non seulement en mots mais aussi en paroles et en action. Par exemple, s’il y a eu absence de soins dans l’enfance, une personne peut avoir besoin de vivre l’expérience d’un « nouveau père » ou d’« une nouvelle mère » qui agit de la manière qu’elle souhaite que la mère ou le père ait agi. Adam Blatner appelle cela le « moi auxiliaire réformé » par lequel une personne utilise la réalité excédentaire pour créer une expérience souhaitée. La reality therapy prend aussi la forme d’un enseignement ou d’un apprentissage. Elle essaie d’accomplir en une période relativement courte et intense, ce qui aurait dû être fait au cours de la période normale de croissance. Une nouvelle expérience réparatrice est menée. Les effets réparateurs permettent de compléter le développement émotionnel ou de surmonter un traumatisme. La thérapie va s’orienter vers une réécriture de l’histoire traumatisante ou souffrante du sujet. Le processus psychique devient alors actif, dynamique où l’histoire personnelle est continuellement redite, racontée de nouveau. Cette nouvelle perspective donne au protagoniste la liberté et l’opportunité de redire, raconter à nouveau son histoire d’une manière plus positive et constructive. Lorsque le protagoniste est invité à rejouer, avec une issue plus positive, un événement anxiogène qu’il vient de mettre en scène, une première fois, il investit d’images plus constructives sa propre histoire familiale. Il est amené à ressentir les dimensions kinesthésiques, cognitives, émotionnelles et relationnelles de cette nouvelle expérience qui devient réparatrice ou corrective. Ce changement de compréhension de l’expérience interne de base, qui conduit en thérapie à réexpérimenter un événement négatif d’une façon plus affirmative, constructive et positive, s’aligne sur le pouvoir créatif de la spontanéité développée en psychodrame. Cette nouvelle perspective thérapeutique fait ressortir à la surface de la scène psychodramatique des expériences traumatiques et fait en sorte de restructurer celles-ci autour d’un sens constructif. Elle permet de connecter des expériences vécues dans le présent de la séance psychodramatique à un passé problématique auquel on attribue un nouveau sens. Les souvenirs et leurs sens offrent une protection symbolique si l’histoire personnelle est redite d’une façon plus positive et constructive. À partir de ses ressources personnelles et de celles du groupe, l’individu se dégage de l’emprise de ses récits néfastes en développant, dans une séance psychodramatique, une expérience nouvelle ou plus adaptée de son histoire personnelle. Autrement dit, il s’agit ici du pouvoir réparateur de la réalisation symbolique ou du surplus de réalité fourni par le psychodrame. C’est là une des richesses de la méthode du psychodrame que de pouvoir mieux comprendre, par le jeu, les investissements et de pouvoir agir sur ces investissements pour favoriser un effet réparateur par l’efficacité symbolique du psychodrame. La technique du surplus de réalité peut permettre aussi, par exemple, au protagoniste, d’avoir une rencontre avec un défunt qui n’a pas réellement eu lieu dans la réalité de leur relation. Ainsi, le protagoniste endeuillé a la possibilité d’expérimenter et d’exprimer ses sentiments et ses pensées envers le défunt dans leur complexité et leur variété. La décharge émotionnelle et la compréhension intellectuelle de cette rencontre psychodramatique peuvent aider le protagoniste à traiter certains aspects de son deuil non résolu en obtenant plus de perspicacité et une meilleure compréhension. Avec cette obligation de « porter un masque » la population terrorisée est maintenue dans la peur et l’ignorance par les médias. Le masque est voile, occultation, bâillon. La voix est transformée. Seuls les yeux dépassent. La vision se réduit, perd en acuité, en sélectivité et en repérage de la différence. Le masque cache, tache, stigmatise et rappelle sans cesse la situation infantilisante dans laquelle chacun se trouve. Nous distinguons, d’un côté, le visage, la mobilité, l’invitation à l’échange et de l’autre la figure, soit le masque, l’immobilité, la fixité, une forme accomplie, close sur elle-même. Il est également à se demander ce que je co-crée dans ce monde voilé que je vois de manière masquée ? Cette crise mondiale sans précédent nous rappelle aussi que c’est la solidarité qui a permis à l’humanité de survivre ! Cette solidarité n’est-elle pas née de la rencontre responsable avec l’autre, les autres ? La santé, dans cette pandémie, s’est imposée en urgence face à l’économie. Quel renversement de situation ! Pourrions-nous nourrir l’espoir d’un retour d’activités plus porteuses de sens, accordant une plus grande attention à l’autre en remettant en cause notre tropisme matérialiste ? Enfin, l’Homo Ethicus pourrait-il remplacer l’Homo Economicus ? Quel est ce masque dont on se trouve paré malgré « soi » ? Lacan en fait en quelque sorte le modèle et même l’emblème de la division du sujet. Le masque donne à voir. Pour Carl Gustav Jung chaque individu doit assumer un masque pour son « être au monde » et en changer selon les rôles qu’il joue dans ses relations humaines. Ces masques lui sont fournis par la Persona. La Persona représente les attitudes conscientes envers le monde existant. Dans sa psychologie analytique, Jung a repris ce mot pour désigner la part de la personnalité qui organise le rapport de l’individu à la société, la façon dont chacun doit plus ou moins se couler dans un personnage socialement prédéfini afin de tenir son rôle social. Le mot persona vient du latin (du verbe personare, per-sonare : parler à travers), il désignait le masque que portaient les acteurs de théâtre. La persona pour Jung n’a rien de réel, elle n’est qu’une interface entre l’individu et la société. La persona représente un « masque social », une image, créée par le moi, qui peut finir par usurper l’identité réelle de l’individu. Ce texte sur le concept de la rencontre est complexe et fondamental dans ma clinique psychothérapeutique. Il reste en chantier pour permettre d’approfondir cette élaboration. Humanité, dialogue, réciprocité, responsabilité, risque, tuché, phénoménologie, champ du « pathique », aire de jeu, renversement de rôle, surplus de réalité, masque. Références : [1] Silvia Lippi, La décision du désir, Ed. Eres, 2013, p.192. [2] Lacan emprunte les termes à Aristote pour définir la première rencontre traumatique pour le sujet, qui est de l’ordre de la tuché, tandis que sa répétition correspond à l’automaton. [3] Silvia Lippi, La décision du désir, Ed. Eres, 2013, p.27-28. [4] Thierry Bokanowski, « Le concept de traumatisme en psychanalyse », Sillages critiques [En ligne], 19 | 2015, mis en ligne le 15 juillet 2015, consulté le 24 février 2020. URL : http://journals.openedition.org/sillagescritiques/4153. [5]22 Les positions de Freud et de Lacan à l’égard de la première rencontre du sujet et de l’Autre et du désir qui en découle sont différentes. Qu’est-ce que le sujet recherche quand il désire ? Selon Freud, la répétition de la première satisfaction liée a une expérience de plaisir, selon Lacan la répétition traumatique de la « mauvaise rencontre », de l’ordre de la jouissance. Voir Sigmund Freud, « Esquisse d’une psychologie scientifique », op. cit., p. 336 ; et aussi, Sigmund Freud, L’interpretazione dei sogni, Bollati Boringhieri, Turin, 1973, p. 490 ; et Jacques Lacan, L’éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 129 ; et aussi Jacques Lacan, Le séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Seuil, Paris, 1973, p. 53. 23 Terme que Lacan emprunte à Jones mais en en faisant un usage différent. Jones parle d’une disparition du désir comme effet de l’angoisse de castration. » [6] Terme que Lacan emprunte à Jones mais en en faisant un usage différent. Jones parle d’une disparition du désir comme effet de l’angoisse de castration. Ernest Jones, « Le développement précoce de la sexualité féminine », dans Théorie et pratique de la psychanalyse, Payot, Paris, 1969, p. 401. [7] « C’est dans l’intervalle entre ces deux signifiants que gît le désir offert au repérage du sujet dans l’expérience du discours de l’Autre, du premier Autre auquel il a affaire, mettons, pour l’illustrer, la mère en l’occasion. » Jacques Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit., p. 199. [8] Le désir de la mère se dirige vers le père. [9]L’« acte psychosomatique » Silvia Lippi,p.11.Réf. : file:///C:/Users/User/AppData/Local/Packages/microsoft.windowscommunicationsapps_8wekyb3d8bbwe/LocalState/Files/S0/1299/Attachments/L_acte_psychosomatique[2739].pdf [10] De la chaîne signifiante à l’entrelacs du visible : le tournant du Séminaire XI sur Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse Réf. : http://utpictura18.univ-montp3.fr/Dispositifs/Lacan_sem11.php [11]Ce concept est né dans le champ médical pour éclairer la relation du médecin à son patient ; il a ensuite servi à illustrer la relation de l’homme à son milieu, dans la perspective d’une épistémologie de la psychologie. Ce glissement d’une clinique médicale (existentielle) à un registre qui fonde même cette clinique (existential) explique son émergence dans le champ de l’esthétique où le pathique est alors la dimension originaire qui fonde l’esthétique, envisagée comme aesthesis : un sentir. « Le pathique est un terme qui a été élaboré par Viktor von Weizsäcker, par Erwin Strauss et de nos jours par Henri Maldiney et Jacques Schotte. Or il faut déjà “être là” pour être dans le pathique. Cela correspond à quelque chose de l’ordre des sentiments les plus primordiaux. Ce qui donne la qualité même de la rencontre, c’est le pathique, lequel se définit par des verbes pathiques, qui impliquent toujours un mouvement. En allemand, on parle du “pentagramme pathique” alors qu’en français il n’y a que trois verbes pathiques : vouloir, pouvoir, devoir. Par exemple, les deux acceptions en allemand de pouvoir sont können et dürfen. Könnenexprime la capacité de tandis que dürfen, Jacques Schotte le traduit par oser se permettre de. Dürfen est un verbe essentiel quand on est en rapport avec quelqu’un : est-ce que l’on ose se permettre de ? » Réf. : https://www.ouvrirlecinema.org/pages/reperes/constel/pathique.html [12]Maldiney était professeur de philosophie et d’esthétique à l’université de Lyon. Maldiney a pris le problème de l’homme psychiquement malade en le conciliant avec le point de vue esthétique. Il ne veut pas faire de différenciation normative ou théorique, entre le normal et le pathologique. [13]Maldiney H., Penser l’homme et la folie, « Psychose et présence » in Penser l’homme et la folie, Millon, Grenoble, 1997, pp.5-82, p.7. [14] Maldiney H., Penser l’homme et la folie, « Psychose et présence » in Penser l’homme et la folie, Millon, Grenoble, 1997, pp.5-82, p.9 [15]Maldiney H., Comprendre, in Regard, pp.27-86, p.27. Regard Parole Espace, L’Age d’Homme, Lausanne, 1973, 1994. [16] Philippe Bernier, Anthropologie du pathique, in Les mots sans visa (Les cahiers de l’école Numéro 9). Ecole doctorale « Connaissance, Langage, Modélisation » Université Paris-X Séminaire interdisciplinaire du 4 mai 2007. [17] P.Montangerand, « Ballade pour un jeune thérapeute », Bulletin de la Société Balint Belge, n°37, juin 1993. [18] J. L. Moreno, « Psychothérapie de groupe et psychodrame », p 30. [19]Jacques Michelet, Handicap mental et Technique du psychodrame, Ed. L’Harmattan, 2008, p.42. [20] Dr Grete-Anna Leutz, Mettre sa vie en scène, Ed. Desclée de Brouwer, 1985, Paris, p.29-30. [21] Jean-Marc Dupeu, L’intérêt du psychodrame analytique, Ed. PUF, 2005, p.259. » your text 27 février, 2024 16 février, 2024 La tuché et la psychanalyse : la rencontre « manquée »
Phénoménologie de la rencontre
La rencontre avec la personne vivant avec un handicap mental
La rencontre en psychodrame d’un point de vue technique
Le renversement de rôle
La technique du surplus de réalité (le surplus de réalité ou la reality therapy)
La rencontre actuelle masquée par le Covid-19
Masque et psychanalyse
Conclusion :
Mots-clés
VOUS DEVRIEZ EGALEMENT AIMER CEUX-CI !
Le regard
Être seul, séparé et l’angoisse de séparation