
Par Jacque
La méchanceté
Ceux qui préfèrent les contes de fées font la sourde oreille quand on leur parle de la tendance native de l’homme à la méchanceté, à l’agression, à la destruction, et donc aussi à la cruauté. (J. Lacan) [1]
« L’homme n’est pas méchant – disait Lacan – il est méprisant ». Et il est vrai que la méchanceté procède le plus souvent du mépris, auquel elle vient ajouter comme une touche cruelle de raffinement. Lacan insiste d’ailleurs sur l’étymologie commune de ces deux passions mauvaises. « Méchant a à faire avec le mal par sa première syllabe : mé – observe-t-il. Comme dans médire, dans mépris. La deuxième syllabe concerne le choir. Méchant, c’est méchéance, c’est tomber mal. » Et c’est souvent tomber dans un puits sans fond, la méchanceté se repaissant d’elle même, elle est comme le négatif du désir, avec lequel elle a plus d’un point commun et peut-être le même foyer d’origine. Comme la vengeance, la méchanceté ordinaire se pratique à froid, et sans ostentation, le but étant d’atteindre l’autre au cœur, alors qu’il a baissé la garde, quand la colère avec ses gros sabots élève immédiatement des résistances. Petites piques et coups de griffe, médisance, persiflage, propos vexatoires, moqueries : « Les flèches blessent le corps mais les pointes blessent l’âme » disait Baltasar Gracian. Tout un arsenal de basse intensité, qui opère dans la durée et dont la constance morbide finit par faire mouche. La méthode ici est le harcèlement – le mot vient de herse, l’instrument à dents qui laboure et retourne la terre. « La méchanceté ne détruit pas, elle désagrège » affirmait à juste titre Jankélévitch.[2] « Par-delà ses origines et les formes plus ou moins sadiques et perverses qu’elle épouse, la méchanceté reste une tare qui exige une riposte, à moins de renoncer à toute vie collective harmonieuse. C’est surtout parce que la volonté méchante est « une volonté qui fait sécession avec l’altérité, pour ne vouloir que soi » qu’il faut lui opposer le goût de l’esprit commun. Parce qu’ils font sécession avec les autres, ne respectent pas la loi, les méchants refusent « les devoirs liés à leur appartenance humaine ». Leur solitude est la conséquence du refus des autres et de la société en tant qu’ils symbolisent ce que nous appelons aujourd’hui le « vivre ensemble ». «Celui qui a fait sécession avec le monde comme système de normes morales ne vit que pour lui-même, éloigné de la destination la plus haute de l’humanité : une vie sociale apaisée », écrit Michaël Foessel. »[3] La méchanceté est une manière d’être d’un individu. Le méchant commet le mal. Pour Socrate la faute est le résultat d’une méprise: désirer le mal, c’est se tromper, c’est croire que le mal est un bien. Il existe bien une volonté du mal. Le méchant n’est pas seulement celui qui fait le mal et qui le fait en fonction d’une intention délibérée, il est celui qui aime le mal. « La méchanceté est toujours une relation entre les personnes. Est méchant celui qui veut du mal à son semblable. Le méchant a besoin d’un autre, il ne veut pas le mal en général, mais la souffrance d’un être. La méchanceté vise toujours une autre personne, si elle s’adresse à une chose, c’est qu’elle la personnifie ou qu’elle voit en elle une humanité possible. …L’amour dit: je suis heureux de ton bonheur et malheureux de ton malheur. La méchanceté dit: je me complais à ta souffrance et je souffre de ton plaisir. Elle est «la joie gratuite de faire souffrir »[4]
» your text « La méchanceté se combat par l’altérité, la politique, la réflexion ; autant dire, qu’elle n’est pas près d’être vaincue. »[5] « L’homme n’est pas méchant. Il est méprisant. » Ce propos de Jacques Lacan concerne l’Autre méchanceté, celle au quotidien : la méchanceté ordinaire. Nous sommes méchants sans le vouloir ou, pire, sans le savoir. Quand elle n’est pas mais déduite, la méchanceté nous semble plus violente encore. L’injure la plus crue évite l’obscénité, les cris, les coups, et laisse le sujet à qui elle est destinée le soin de l’interpréter. Poètes, Baudelaire en tête, et écrivains savent qu’une part de méchanceté habite l’être humain : « tout le monde est méchant » dit Alexandre Dumas. Cet ouvrage prend à rebours la conception du pervers narcissique, selon quoi le méchant c’est toujours l’Autre. Issu d’une psychologie dégradée, ce concept est dangereux : il méconnait que la méchanceté est native, et que, si le sujet n’est pour rien dans le mal qui lui tombe dessus, il est responsable de la manière dont il y répond. L’ignorer, c’est risquer de provoquer répétitivement l’Autre méchant, de voir la méchanceté là où elle n’est pas, et ne pas la voir là où elle se trouve. »[6] « Par le seul fait que ses parents parlent de lui, tout un discours précède sa venue au monde. On parle à son sujet. Et cela, très probablement constitue un autre malveillant, un autre qui n’a pas de bonnes intentions. Ceci définit le statut primaire de l’Autre. A partir de là, nous pouvons supposer à n’importe quel Autre une jouissance mauvaise, parce que la jouissance de l’autre nous est toujours inconnue »[7] Le dictionnaire définit la bienveillance comme la capacité à se montrer indulgent, gentil et attentionné envers autrui d’une manière désintéressée et compréhensive. La bienveillance est la disposition affective d’une volonté qui vise le bien et le bonheur d’autrui. Le terme est calqué sur le latin benevolens qui par la suite, a donné le doublet lexical bénévolence. Quelqu’un qui montre de la bienveillance se montre attentif au bien et au bonheur des autres. Son antonyme est malveillant. Dans le boudhisme Bienveillance est l’une des traductions usuelles de maitrī en sanskrit (metta, en pali), signifiant à l’origine amitié, impliquant une relation désintéressée. Dans l’hindouisme on parle d’Ahimsa, c’est-à-dire la non-violence, le respect de la vie, plus précisément « l’action ou le fait de ne causer de nuisance à nulle vie ». Dans l’hindouisme l’image symbolique reste la vache et la lionne buvant côte à côté dans la rivière. Cette image est reprise dans la mythologie romaine avec la louve qui allaite Romus et Rémulus. « Confucius et Mencius, l’un comme l’autre, l’ont souvent affirmé : la qualité fondamentale d’un chef est la bienveillance. Confucius aurait dit : « Que le prince cultive les vertus et le peuple viendra à lui en masse, avec le peuple viendront les terres, avec les terres la richesse. Cette richesse sera le bénéfice de la rectitude du prince. Vertu est racine, richesse est moisson ». Et encore «Jamais on ne vit de prince bienveillant, monarque d’un peuple qui n’aime pas la vertu ». Quant à Mencius, il mettait ses pas dans les siens en disant : « On peut citer des exemples d’hommes capables d’atteindre un pouvoir suprême dans certaines contrées malgré un total manque de bienveillance mais jamais je n’ai entendu parler d’empires entiers tombant dans les mains de l’un de ceux qui manqueraient de cette vertu. En outre, il est impossible à quiconque de devenir monarque d’un peuple qui ne lui aurait pas fait, au préalable, allégeance de son cœur. » – « La bienveillance, dit-il avec Confucius, fait l’homme ». »[8] « Dans la langue française le terme est introduit en 1175 sous le vocable « bienvoillance » pour devenir au XIVème siècle « bienvaillance ». C’est en 1680 que la graphie actuelle bienveillance apparait encore qu’on l’écrive aussi « bienveuillance ». C’est-à-dire vouloir le bien pour quelqu’un. Jusqu’au XXème siècle il y a un sous-entendu de condescendance on est bienveillant de supérieur vers un inférieur. Et donc le terme peut dériver vers la compassion, la complaisance envers autrui. Au final, la bienveillance c’est vouloir le bien. Il y a donc une notion claire de volonté, d’intention favorable envers une personne. On veut le bien et non le mal (d’où l’antonyme malveillance). S’y ajoute aussi un sous-entendu de protection (on pourrait donc vouloir le bien contre la volonté d’autrui, puisqu’on le protège….pour son bien).»[9] « Si l’on a souffert d’un sentiment de ne pas être reconnu, ou d’incompréhension. Si on s’est senti rejeté, injustement traité. Si l’on a subi des traumatismes, des manques affectifs, si l’on n’a pas vécu une enfance épanouissante, ou si l’on a vécu une cassure venant briser le centre de soi…si l’on a entendu des cris, si l’on a été négligé, si l’on ne sait pas pourquoi on était là. Toutes ces expériences créent des blessures immenses, dont la souffrance est enfouie. Cependant, le refoulé ne disparaît pas, il est toujours agissant. Le psychisme n’oublie rien. L’individu alors s’enferme dans une carapace, créant des comportements de défense, vis-à-vis de ces blessures. Il construit des attitudes de rigidifications, visant à éviter à tout prix de se confronter à toute situation risquant de réveiller la peine issue de l’élan brisé. Pour ne pas souffrir à nouveau. Ainsi, il va vivre à côté de lui, n’étant pas lui-même, pas totalement lui-même. « Ces diverses expériences de non reconnaissance amènent un être à conclure qu’il ne peut pas vivre en étant lui-même. Le sens profond de la maladie est là, presque toujours. (Guy Corneau, Revivre !) Un trouble va naitre. En effet, cette partie de soi oubliée, négligée, dont on n’a pas pris soin, va s’étioler, se désagréger. Le prix à payer, est la maladie, d’être ou de corps. La maladie montre une désunion d’avec soi, un déséquilibre. L’harmonie qui préside est rompue. L’être est globalité avant tout. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de prendre soin de soi. Quelle que soit l’entrée : corps, énergie, psychisme, la technique sollicitée, le professionnel consulté, tout travail sur soi permet de prendre un peu de recul et de se rendre compte que l’on peut améliorer sa vie, la rendre meilleure. Il s’agit aussi de savoir manœuvrer les forces en soi qui sombrent, qui ne veulent pas évoluer, voire qui œuvrent en sourdine pour la destruction ! Ne pas les laisser dans l’ombre, ni aux commandes. Il s’agit donc de réveiller les forces de régulation, de réparation, qui se sont endormies, inhibées suite aux traumas vécus. En effet, toute guérison, toute amélioration d’être, est due à l’activation de l’auto-guérison, à la stimulation de la capacité autonome de rééquilibrage propre aux fonctionnements psychiques et physiques. La reconnaissance, en soi, pour soi, des souffrances niées et enfouies est la condition première pour commencer à être vraiment soi. Toute souffrance intense et durable engendre une dissociation psychique. Une partie du psychisme fait comme si l’autre partie, la souffrante, la malade, n’existait pas. Celle-ci s’enferme dans le non-dit. Une barrière invisible l’entoure et l’empêche d’être au jour. Avec elle, c’est une part de soi qui s’isole et s’anéantit. Le dialogue avec l’inconscient est nécessaire pour faire réunir ces morceaux disparates de la psyché. La psychanalyse permet la fluidité entre conscient et inconscient. Elle place la reconnaissance du sujet au centre de son dispositif. La faculté de réparation provient du sujet lui-même, de sa renaissance à lui-même, dans une place enfin occupée. C’est une thérapie par la mise en valeur du moi. Un moi qui s’est ouvert et a quitté ses compulsions de défense, qui l’enfermaient dans une attitude figée. Un moi qui n’est plus replié sur ses peurs. La fluidité apporte le mouvement, la possibilité de l’action. Elle permet à la force vitale, au désir de vie de se propulser à l’extérieur. Sans cette fluidité, des cuirasses psychiques, et physiques se mettent en place. Un moi qui occupe le centre de l’être, et peut regarder autour de lui avec bienveillance, interagir en combinant indépendance et accomplissement, se relier en gardant sa liberté d’être. « La santé est globale, elle inclut le corps, l’âme et l’esprit. » (Guy Corneau, Revivre.) Il s’agit de découvrir le sens de ce qui nous arrive. Un sens est découvert quand il parle à notre conviction profonde, intime. Cela arrive comme un éclairage subit, suivi d’un soulagement émotionnel. La conscience s’enrichit. A chaque situation, à chaque évènement ne correspond pas un mais plusieurs sens. Ils sont à cueillir au fur et à mesure de l’avancement, et viennent se mutualiser, renforcer l’élaboration globale. Le chemin vers les prises de conscience, en ramenant du mouvement intra et inter psychique, conduit à la sortie de l’impasse où nos peurs nous ont enfermés. Une nouvelle circulation s’instaure, ce qui était fixé se dénoue, la vision des choses en est modifiée. Suite à ce travail de conscientisation, l’harmonie entre ressenti et action est rendue possible. L’action juste, issue de la synthèse entre le ressenti et la réalité extérieure, ancre le sujet dans sa vie. Elle lui permet l’incarnation de ce qu’il est vraiment. »[10] « Jamais on n’aura autant parlé de bienveillance : colloques d’enseignants, de soignants, conférences de philosophes, de méditants autour de ce thème se multiplient. Ces appels à travailler avec précision et persévérance, comme les muscles abdominaux, une disposition plutôt naturelle et désintéressée peuvent sembler contre-productifs. A force d’appeler à la bienveillance, ne risque-t-on pas d’en altérer les élans spontanés ? Pour Jacques Lecomte, la bienveillance précède l’action. Elle est « la bonté» déclinée dans la vie quotidienne, ordinaire, et n’a rien de spectaculaire. « Ceux qui la pratiquent ne sont pas des » héros sauveteurs » mais ont un regard a priori positif sur autrui, la capacité à ressentir ce qu’il ressent, notamment s’il souffre – c’est l’empathie – et leur altruisme s’exprime en actes. » Bernadette Lemoine, psychologue et psychothérapeute expérimentée, développe une même approche dans l’aide aux parents. Pour elle qui publie (avec Diane de Bodman) Petites Phrases à leur dire pour les aider à grandir (Albin Michel), être bienveillant avec les enfants qu’on éduque, c’est d’ abord veiller sur eux, être attentif à eux. Une attitude profonde qui influence chaque geste et décision. «Éduquer, ce n’est plus donner des ordres de manière raide, à la militaire, mais dans un coeur à coeur avec l’enfant, avec souplesse … Toute l’ambiance familiale en est transformée. Attention cependant, être bienveillant avec son enfant, ce n’est pas seulement lui faire plaisir : « le problème de nombreux adultes, c’est qu’ils n’entendent dans le mot bienveillance que » ce qui est bien et facile pour l’enfant » », observe la psychologue. Or, si jusqu’ à 3 ans, l’enfant est en effet le centre du monde, les parents doivent ensuite veiller à le décentrer de lui-même afin que son plaisir seul ne domine pas, mais qu’il apprenne à faire plaisir aux autres. Sinon, le risque est de donner des enfants « no limits » qui, en fin de compte, ne savent ni se respecter, ni respecter l’autre dans le « bien vivre ensemble».»[11] Les orientaux insistent sur la volonté du bien et du bonheur d’autrui, le christianisme également, tout en soulignant qu’elle ne suppose pas la réciprocité, et n’instaure pas de liens durables avec l’autre. Il s’agit de veiller à son bien, de « veiller » Mots-clés : Mépris ; négatif du désir ; herse ; rupture avec l’altérité ; vivre ensemble ; l’Autre ; relation désintéressée ; vertu est racine, richesse est moisson ; prendre soin de soi ; activation de l’auto-guérison ; fluidité ; sens ; conscientisation ; empathie. [1] J. LACAN, Séminaire, livre VII, L’éthique de la psychanalyse, Leçon du 23 mars 1960. [2] Article de Jacques Munier (auparavant professeur de philosophie, il rejoint ensuite France Culture en tant que producteur en 1983, et a longtemps piloté l’émission « les Chemins de la connaissance ».) https://www.franceculture.fr/emissions/lessai-et-la-revue-du-jour-14-15/la-mechancete-ordinaire-revue-le-portique [3] https://www.lesinrocks.com/2014/06/14/actualite/sommes-mechants-11510205/ [4] https://www.psychaanalyse.com/pdf/MECHANCETE%20ET%20PERVERSITE%20-%206%20pages%20-%20246%20Ko.pd [5] https://www.lesinrocks.com/2014/06/14/actualite/sommes-mechants-11510205/ [6] https://journals.openedition.org/lectures/14212 [7] Santiago Castellanos, « Paranoias et folies de la vie quotidienne ». Réf. : https://congresoamp2018.com/fr/textos-del-tema/paranoias-et-folies-de-la-vie-quotidienne/ [8] https://fr.wikipedia.org/wiki/Bienveillance [9] https://www.philcodev.com/la-bienveillance-mot-a-la-mode [10] Genviève Abrial, psychanalyste, Paris 8ème. Réf. :http://www.genevieveabrial.com/tag/bienveillance/ [11]Pascale Senk (journaliste), article : « La bienveillance, une prise de risque », Le Figaro, 3 septembre 2018. Réf. : http://www.psychologie-positive.net/IMG/pdf/Figaro_3_septembre_2018.pdf » your text
27 février, 2024 16 février, 2024 La bienveillance
Définition
Prendre soin de son « Moi »
Le bien vivre ensemble
Bien veiller
Bien veillance ; veiller au bien de. Veiller sur.., veiller sur soi est aussi en lien avec le concept de la vigilance. J’invite le lecteur à consulter mon article sur la vigilance à cette adresse : https://www.psychotherapie-psychodrame.be/2018/08/24/le-concept-de-la-vigilance/
VOUS DEVRIEZ EGALEMENT AIMER CEUX-CI !
Le regard
Être seul, séparé et l’angoisse de séparation