
Par Jacque
Urgent est emprunté au bas latin urgens « pressant, qui ne souffre pas le retard », participe présent du latin classique urgere « pousser, presser, sans origine certaine malgré plusieurs rapprochements indoeuropéens.
Urgence (1550) se dit de la nécessité d’agir vite ; le mot, inusité à l’époque classique, a été repris à la fin du XVIIIe s., dans d’urgence (1789( !!), cas d’urgence ), puis employé seul (1792) avec une spécialisation médicale courante pour « cas nécessitant une intervention et des soins rapides », avec des métonymies : les urgences « le service des urgences », une urgence « un patient relevant de ce service ».
Urger v.intr., construit sur le modèle de presser/pressant (1891) est surtout employé dans il urge (1903), ça urge , familiers
La tyrannie de l’immédiateté
» your text Le mal qui nous menace aujourd’hui est un rapport dysfonctionnel à la temporalité. À trop vivre dans l’immédiat, nous perdons peu à peu les bénéfices de la durée. Que se passe-t-il donc? Y a-t-il péril en la demeure? On pourrait dire que justement «rien ne demeure: tout passe trop vite et nous ne nous y retrouvons pas. Les nouvelles technologies nous ayant désormais plongés dans le règne de l’instantanéité, nous avons perdu un certain sens de la temporalité et sommes souvent déchirés entre deux instances: le temps social, extérieur, celui de nos contraintes organisationnelles pour nous adapter au monde pressé dans lequel nous vivons, et le temps intérieur, appelé aussi temps psychologique, qui nous invite à goûter ce qui se passe dans nos vies à notre propre rythme, cette fois-ci subjectif. Il semble qu’actuellement beaucoup d’entre nous soient comme déphasés dans leur perception de ces différents temps. Jacques André, psychanalyste et auteur notamment des Désordres du temps[i], observe certaines contradictions contemporaines: «Nous avons gagné en allongement de vie, et pourtant, la préoccupation du vieillissement semble arriver chez certains dès l’âge de 30 ans. Très tôt, ils souffrent de leur première ride alors qu’ils ont beaucoup d’années devant eux.» Le diktat de l’urgence s’est imposé dans le temps social. «Avant, celui-ci était rythmé par les saisons, rappelle le psychanalyste. Aujourd’hui, beaucoup semblent poussés par l’envie de brûler les étapes: ils vivent dans la précipitation, la sur-occupation, se retrouvent à sortir tous les soirs, à multiplier les relations éphémères.» Ainsi le règne du non-durable en vient-il à colorer nos existences. Or cette «sommation cumulative d’instants» que les médias notamment diffusent à profusion (cf. la culture du «scoop») ne s’accorde pas avec nos besoins profonds d’élaboration psychique. Car on peut remarquer que toutes les grandes initiations dans nos vies: grandir, apprendre, aimer, éduquer, traverser un deuil par exemple demandent du temps. «Aujourd’hui, nous n’avons plus le temps d’incuber les événements et de les élever au statut d’événements psychiques, regrette le psychanalyste Roland Gori. Alors, bien sûr, nous pouvons nous adapter en développant un “faux-self”, un moi d’emprunt, mais que deviennent nos rêves, nos mémoires, les mythes dans cette société qui matérialise le temps à ce point?» Et de citer Winnicott: «Pour pouvoir être et avoir le sentiment que l’on est, il faut que le faire-par-impulsion l’emporte sur le faire-par-réaction.» Réflexion, anticipation et intégration nous sont donc aussi nécessaires que l’air et l’eau. En effet, nous sommes souvent amenés à penser et agir dans l’urgence quand au contraire il est urgent de se mettre à penser dans la durée et une relative sérénité. La médiation consiste à privilégier un travail favorisant les processus de symbolisation difficiles à mettre en place seulement par des interventions verbales. La médiation nous protège de l’immédiat, elle nous protège d’un contact direct. L’immédiat, au sens étymologique, serait de l’ordre de la violence, de l’action directe. La médiation permet que l’on passe en quelque sorte de deux (la relation duelle) à trois. C’est un espace où nous pouvons y affronter toutes les sortes de menaces qui pèsent sur nous, tout en étant hors menace. Le groupe thérapeutique, en raison de son cadre bienveillant, est un lieu dont on peut dire qu’on s’y exprime, s’y confronte avec des problèmes qui nous déstabilisent, tout en entrant dans un processus de structuration. L’urgence amène l’hyperagitation. Je pense que dans cette hyperactivité la pensée n’a plus de recul pour s’apaiser, apaiser, se faire confiance et faire confiance. Dès lors tout devient urgent alors qu’il est urgent de se mettre à penser. L’urgence, pour nous, consiste à prendre du temps et aussi de ne pas toujours faire. Accepter de ne pas toujours faire (être toujours dans l’agir) c’est permettre d’être. Un espace de parole respectant le rythme de chacun, permettant une décharge-recharge émotionnelle, permettant de passer de la plainte à la demande, l’expression de ses difficultés singulières reste indispensable. Nous tombons malade à force de ne pas faire de nous-mêmes des « patients », alors que se faire « patient » guérit ! Notre société est devenue une société du présent immédiat et trois nouvelles façons de vivre le temps sont apparues au premier plan : l’urgence, l’instantanéité et l’immédiateté. L’instantanéité technologique, jointe aux exigences d’une concurrence mondialisée, a entraîné le règne de l’immédiateté. Et l’exigence d’immédiateté contribue à produire l’urgence, même quand celle-ci n’est pas nécessaire. Impliquant l’idée d’une intervention immédiate pour éviter que se produise un scénario aux conséquences dramatiques (Jauréguiberry, 1998), l’urgence était autrefois réservée à des domaines bien circonscrits où l’irréversible était en jeu (urgence médicale, urgence juridique avec la procédure du référé). Elle s’est maintenant étendue au domaine économique et elle est devenue un mode de fonctionnement usuel dans les entreprises, comme si l’irréversibilité d’une possible mort économique de celles-ci était en jeu. Elle s’accompagne même d’une sorte de surenchère dans la demande : de la catégorie « urgent », qui correspondait il n’y a pas encore si longtemps à un mode de traitement des dossiers un peu exceptionnel, on est passé au « très urgent » pour à peu près tout et certaines entreprises ou administrations vivent maintenant sous le règne du TTU permanent, tout étant demandé en « très très urgent », comme si l’escalade dans la pression était susceptible d’apporter une réponse au caractère non extensible du temps. Selon le philosophe et sociologue Edgar Morin, l’accélération financière et technologique, déconnectée du rythme de l’être humain, mène la société à l’épuisement. Mais alors, comment s’en sortir? Pour le philosophe Marcel Gauchet[ii], tel est le nouveau défi qui nous incombe: réconcilier ces deux temps qui rythment nos vies, le temps de la construction sociale, qui est artificiel mais auquel nous obéissons, et notre temps intérieur, qui nous fait traverser les événements d’une manière irrémédiablement solitaire. «Nous ne pouvons nous passer d’aucun de ces temps, précise le philosophe, et nous ne cessons d’osciller de l’un à l’autre. Mais il est possible de vivre au mieux cette dualité: en prenant conscience notamment que le temps “objectif” ne se réduit pas à la contrainte sociale et au conformisme.» On peut ainsi l’envisager comme « le temps de l’action en commun, du travail réfléchi de construction partageable avec les autres et en mesure de produire des effets durables au-delà des limites de nos vies». Alors que des algorithmes accentuent de manière exponentielle la spéculation financière hors de tout contrôle, des citoyens, heureusement, refusent de se soumettre aux diktats de l’urgence et de l’immédiateté, pour redonner du sens au temps qui passe. De manière plus pragmatique, le psychiatre Laurent Schmitt recommande dans son livre Du temps pour soi (Éd. Odile Jacob)[iii] de multiplier les occasions de se mettre en contact avec sa propre temporalité: micropauses d’environ une minute nous permettant d’interrompre nos activités trois ou quatre fois par jour, aménagement de nos activités et de nos loisirs en fonction de notre rythme individuel, culture d’un jardin secret…j’invite le lecteur, à ce sujet, à lire l’article que j’ai rédigé : « cultiver son jardin »[iv] Des propositions qui deviendront peu à peu incontournables pour tous ceux qui ne veulent plus perdre leur temps. En guise de conclusion je dirais ceci : « On dit qu’il faut prendre son mal en patience ». Et si l’on prenait notre bien en urgence ? [iv] http://www.psychotherapie-psychodrame.be/2016/01/31/cultiver-son-jardin http://sante.lefigaro.fr/actualite/2011/01/16/10675-comment-resister-diktat-lurgence https://communicationorganisation.revues.org/3365 » your text 27 février, 2024 16 février, 2024 De l’immédiateté à la médiateté, à la médiation d’un évènement
L’urgence et l’instantanéité
Du temps pour soi
[i] Les désordres du temps, Jacques André, 2010 Essai (broché).
[ii] Marcel Gauchet est un philosophe et historien français né en 1946 à Poilley (Manche)Directeur d’études émérite à l’École des hautes études en sciences sociales (Centre de recherches politiques Raymond Aron), il est rédacteur en chef de la revue Le débat (Gallimard), l'une des principales revues intellectuelles françaises, qu'il a fondée avec pierre Nora en 1980
[iii] Du temps pour soi : conquérir son temps intime Laurent Schmitt, 2010 Essai(broché)
Autres références :
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Le regard
Être seul, séparé et l’angoisse de séparation