L’ennui

L'ennui
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L’Ennui, la honte et l’inhibition

Ennuyer vient du latin inodiare, de odium, la haine. Je m’ennuie donc j’ai moi-même en haine. Les vieux démons réapparaissent lorsque nous n’y attendons plus. Ils retiennent nos élans de vie, interdissent l’expression de notre envie, de notre amour, de notre inventivité et peuvent même nuire à notre santé.

Il faut les détecter afin de ne plus avoir à les craindre. Nous avons besoin de savoir quand et comment, dans notre enfance, est apparue cette tristesse qui nous empêchait d’agir. Nous sommes ce que nous pensons !

 On peut se sentir coupé de la vie, sans que rien, en apparence, ne le justifie. La souffrance est là. Souffrance qui se manifeste par différents symptômes : asthme, crises d’angoisse, claustrophobie, échec scolaire, etc. Comment dire autrement une insuffisance d’air, d’espace et de liberté ?

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Voilà, on voudrait agir, s’occuper, ne pas rester sans rien faire, sortir de ce vécu de vacuité désagréable mais on ne peut pas. C’est souvent ainsi que l’ennui se trouve exposé, adressé à l’adulte et en particulier au psychothérapeute, invités à le partager sous la forme d’un vide dense. Parfois les secondes s’écoulent lourdement, laborieusement, et un gel anesthésiant, paralysant envahit l’espace de la relation.

Le dictionnaire ne dit pas autre chose de cet affect pénible, de cet état d’humeur diffus : une peine de l’âme comme une plongée dans un froid mortel (se morfondre, ce fut d’abord, à l’origine du terme, prendre froid), dans une lassitude et une mélancolie où c’est d’abord l’expérience du temps qui pèse douloureusement ; l’éprouvé souffrant du sujet soumis au poids temporel, entre vie et mort : c’est l’être temporel en souffrance (comme on le dit d’une lettre en souffrance). Celui qui s’ennuie, qui se languit (d’une langueur monotone), se trouve toujours pris dans cette dimension du temps et de l’attente, dans une tension tournée vers ce qui pourrait distraire, délivrer de l’ennui comme épreuve temporelle et stase indicible.

L’ennui est un vécu désagréable de vide, de désengagement, de lassitude morale, de perte d’intérêt et d’éveil, d’abaissement de l’activation et de l’excitation, expérience négative et dysphorique d’insatisfaction, d’engluement dans une situation dont on ne peut sortir, impuissance, passivité, désinvestissement, sans cause repérable ou dont l’attribution causale peut se fixer sur toutes sortes de situations ou de contraintes, objectives ou projectives.

Souvent aussi, l’ennui voisine avec la honte. L’adolescent qui s’ennuie a fréquemment « la honte » : cet état envahissant, insupportable et sans forme où l’imaginaire et le jeu symbolique restent en rade, sans métaphorisation possible. Même état de misère psychique et de haute présence d’être, de désubjectivation et de subjectivation mêlées qui frise parfois l’abjection, la déréliction .

Mais si l’ennui frôle parfois la honte, il s’apparente aussi à l’inhibition en tant que limitation ou arrêt d’une fonction. La théorie freudienne distingue classiquement une inhibition liée au symptôme (phobique ou obsessionnel par exemple) d’une inhibition pure ou inhibition-évitement (Freud parle aussi d’une inhibition par dérivation de l’énergie libidinale : « Un investissement latéral inhibant  ») qui se situe en deçà du symptôme et de l’angoisse. C’est cette seconde inhibition qui nous intéresse particulièrement ici dans la mesure où l’ennui se situe justement comme précédant le symptôme et l’angoisse. L’apport de Lacan, dans son séminaire sur l’angoisse, ne manquera pas ici de nous éclairer . Lacan, à partir du texte freudien Inhibition, symptôme, angoisse, y situe l’inhibition à l’intérieur d’un tableau ordonné selon les deux axes du mouvement et de la difficulté, et l’articule à plusieurs autres termes : l’émoi, l’émotion, l’empêchement, l’embarras, et les deux formes d’agir que sont l’acting-out et le passage à l’acte. Sans entrer dans un commentaire détaillé de ce tableau, nous retiendrons que l’inhibition s’y trouve positionnée comme un mécanisme élémentaire de défense par rapport au développement du symptôme et au risque de surgissement de l’angoisse. L’inhibition permet d’éviter le trop d’émotion et d’embarras, mais se place surtout dans l’axe de la motricité comme une mesure d’empêchement ou d’arrêt de l’acte. C’est dire que, même sous la forme de l’empêchement, l’inhibition est à penser comme un acte, un acte en négatif.

L’inhibition est également abordée par Lacan dans son rapport au désir qu’elle désigne et recouvre à la fois. Elle est toujours inhibition d’un désir, dissimulant lui-même un autre désir sous-jacent. Ce qui conduit Lacan à nous dire qu’« être inhibé, c’est un symptôme mis au musée », évoquant ainsi la mise en réserve muséale : ces collections d’œuvres non exposées, remisées et conservées intactes, prêtes à ressortir un jour.

Dans le tableau lacanien l’ennui serait frère de l’émotion et de l’embarras.  Il serait pensé comme un acte, dans sa dimension d’empêchement moteur (ne rien trouver à faire) ? En tant qu’acte, si l’on pense au passage à l’acte, il se présentera comme un acte désubjectivé, comme un appel à une symbolisation qui peine à se réaliser. Les mots pour le dire manquent et le sens est en panne. L’ennui n’est-il pas adressé à l’autre pour qu’il y réagisse, l’interprète ? L’ennui se présenterait alors comme une forme pleine derrière son vide apparent, comme un réservoir de désirs en jachère, en attente de surgissement.

L’ennui et la morosité retrouvent vite ceux qui voudraient les fuir. Ces sensations ne sont certainement pas liées à un endroit ou à des conditions de vie. Elles font partie d’une histoire. On ne peut pas s’en séparer comme d’un habit, elles collent à l’épiderme. Les souvenirs torturent. Le rejet de notre vie, avant de nous renvoyer à l’autre, aux autres, aux conditions extérieures à notre vie, nous renvoie à nous-mêmes. Au refus de ce que l’on est.

Dans l’incapacité de se fuir, il faut fuir. Mettre une distance entre soi et son passé, entre soi et soi. Se découvrir autre que celui ou celle que nous ne voulons plus être : libre des contraintes qui nous ont empêchées de vivre comme nous le souhaitons. On veut une vie autre que celle qui nous a été donnée en exemple, alors donnons-nous les moyens de l’obtenir.

L’ennui et son contraire l’hyperactivité :

La prescription sociale de l’activisme jette le discrédit sur l’ennui. La nouvelle norme sociale pousse au jouir, c’est-à-dire à l’activisme, quitte à se plaindre de l’hyperactivité et de la fatigue d’être soi qu’elle entraîne : il faut toujours avoir quelque chose à faire ; être actif, c’est être performant. La société libérale fonctionne ainsi sur un leurre, celui qui fait confondre au sujet l’objet cause du désir (qui n’est pas un objet puisqu’il vise l’Autre) et les objets qu’il consomme pour sa jouissance. Les patients le savent puisqu’ils reconnaissent tous continuer à s’ennuyer lorsqu’ils multiplient les activités ou pratiquent le zapping intensif. « Rien ne m’intéresse. Je ne sais pas quoi faire. Et quand je fais quelque chose, je m’ennuie encore », analyse finement l’un d’entre eux. L’ennui est un divertissement et non son contraire comme l’économie de marché voudrait nous le faire croire. « S’ennuyer à l’école est un signe d’intelligence », faisait remarquer F. Dolto déjà en 1979 dans une interview au Monde de l’éducation.

Le sujet hyperkinétique, quant à lui, traduit en acte et en agitation motrice l’agitation psychique qu’il ne peut gérer, faute de symbolisation suffisante. Après les enfants « hyperactifs », ce sont maintenant les adultes stressés, distraits, débordés ou débordant d’activités qui souffriraient de TDAH : « trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité ». Or ce trouble est considéré comme un problème important de santé publique par les uns, comme une fausse épidémie par d’autres – et comme une catastrophe par ceux qui s’élèvent contre la prescription associée de dérivés d’amphétamine dont on ignore les effets à long terme. L’hyperactivité peut être vue comme un trouble psychosomatique renvoyant à l’idée de processus auto-calmants paradoxaux. L’hyperactivité de l’enfant peut renvoyer à des troubles de l’attachement, à des troubles de la contenance psychique en lien avec des faillites du holding initial et des carences de l’environnement.

L’ennui dans le monde du travail, du bore-out au brown -out :

Des chercheurs ont fait la lumière sur une nouvelle pathologie liée au monde du travail. Le brown-out (qui signifie littéralement «baisse de courant») est vécu par un salarié qui ne comprend pas (ou plus) son travail.  Chaque jour au travail, vous avez le sentiment d’être inutile, ou d’effectuer des tâches dont vous ne comprenez pas la valeur? Vous ne comprenez plus votre rôle dans la structure d’une entreprise qui vous dépasse? Vous êtes peut-être atteint de «brown-out», une nouvelle pathologie au travail, théorisés par deux chercheurs britannique et suédois. Après le «burn-out» symbolisant l’excès de travail jusqu’à épuisement, le «bore-out» et l’ennui permanent au bureau, voici donc un nouveau terme, qui se traduit littéralement par une «baisse de courant» et une incompréhension du monde du travail de plus en plus prononcée. Au contraire du burn-out, sorte de boulimie de travail qui provoquerait une indigestion, le bore-out est le syndrome de l’ennui au travail. Source de fortes souffrances, il peut conduire lui aussi à la dépression.

La place de l’être dans sa guérison :

Un symptôme a une signification pour celui qui en souffre. La personne souffrante est donc la seule capable de le déchiffrer. D’où l’importance de la parole pour apporter une lumière sur ses souffrances. Déformée, masquée, sous forme de rébus, la vérité dont les symptômes témoignent, comme les rêves peuvent le faire, peut être dévoilée grâce au travail de la parole  en psychothérapie. Parole après parole, appuyée parfois par une technique thérapeutique spécifique, il est fait lumière sur un moment de son être à l’origine de sa souffrance. La psychothérapie est un traitement thérapeutique sollicité dans de nombreux contextes : dépression, deuil, maladie. Les patients qui s’engagent dans une psychothérapie ou une psychanalyse s’engagent avant toute chose pour eux-mêmes. Il s’agit d’un sauvetage que l’on décide pour soi, pour sortir la tête de l’eau et s’autoriser à prendre un chemin qui n’est pas celui de la douleur. Le burn out marque de son sceau l’inerte et le manque d’envie, de motivation, d’énergie, de volonté ; en somme un manque de désir qui s’est noyé ailleurs. Ce désir de le retrouver est la raison pour laquelle de nombreuses personnes s’adressent à un psychothérapeute. La psychothérapie permet d’apaiser cette souffrance tapageuse, omniprésente et qui prend le dessus sur notre réel désir. Elle offre le champ libre à celui ou celle qui désire connaître l’histoire de sa vie que l’on écrit chaque jour, comprendre ses choix, apprivoiser ses difficultés, soigner ses symptômes, améliorer sa relation à l’autre et, surtout à soi. « Chez une victime du burn out, la probabilité de rebondir est indexée au degré de sécurisation que produisent famille, amis, collègues, pouvoirs publics, histoire et culture personnelles. Un individu dépourvu d’une telle solidarité ne se redresse pas. Le tranquillisant le plus efficace n’est pas le médicament chimique ; c’est l’autre – le parent, le conjoint, le camarade – et particulièrement la confiance qu’ensemble ils ont tissé et ici donne toute sa force. » [i]i C’est pourquoi l’activité thérapeutique en groupe est fortement indiquée. En effet, par  la verbalisation des éprouvés, le groupe devient une enveloppe corporelle pour chacun. Cette enveloppe du groupe renforce l’enveloppe individuelle défaillante. La mise en scène de ses sensations apporte du contenant et les échos de chacun : souvenirs, images, scènes vécues, associations diverses.  Le groupe thérapeutique favorise les échanges dans un cadre structuré, remet en circulation les émotions, les pensées et la parole. Il permet de différer et de réinstaurer du temps et de l’espace pour soi. Le but final est de permettre une meilleure autonomie psychique où il n’est plus question de se satisfaire uniquement d’être porté mais de trouver du plaisir à porter et à se transporter soi-même dans une mise en pro-jet[1] !

[1] « Subjectif désigne à la fois la faille et le saut, l’obstacle et le jet », P. Fédida. « L’objeu », dans L’absence, Paris, Gallimard, 1978.

[i][i] Interview de Boris Cyrulnik – Psychiatre et neurologue

Références :

Tous hyperactifs ? Patrick Landman, Albin Michel, Février 2015.

 Inhibition, symptôme, angoisse, Paris, puf, 1975.

http://psychanalyse-paris.com/L-Ennui.html

L’angoisse, Le séminaire Livre X (1962-1963), Paris,…

https://www.cairn.info/revue-lettre-de-l-enfance-et-de-l-adolescence-2005-2-page-37.htm

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